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Voilà donc de véritables personnes morales. Il est vrai que l'auteur ou ses annotateurs semblent attribuer cette vertu à la forme anonyme. Mais cependant comment accorder les avantages de la forme commerciale à une réunion qui ne serait pas même une société (1)?

On peut, dans une question semblable, argumenter des lois étrangères, puisque la controverse roule sur le point de savoir si l'assurance mutuelle est compatible avec la nature de la société.

Les jurisconsultes anglais définissent la société :

Le résultat d'un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent de faire concourir leurs capitaux et leur travail à la réalisation d'une entreprise commune et de bénéfices communs (2).

Bayley ajoute :

"

« La communauté des profits est l'élément caractéristique qui fait discerner si un contrat est réellement un contrat d'association. >>

Nous trouvons dans cette définition les trois caractères exigés par l'article 1832 de notre code civil:

Un contrat;

Une mise en commun;

Le but de partager le bénéfice.

On insiste sur ce dernier point comme étant caractéristique. Ce n'est donc plus la facilité romaine, c'est le système français accentué.

Or, la loi anglaise (3) de 1862, dans la seconde annexe, formule B donnant le modèle d'une compagnie limitée par garantie, a précisément choisi (4) une société ayant

(1) Mais ce ne sont pas des sociétés commerciales. Infrà, no 176. (2) RAND BAYLEY, Manuel pratique de procédure anglaise, p. 97. (3) Voir l'analyse de cette loi dans l'Histoire du contrat de société. (4) MARTINR, Compagnies limitées, p. 217. Les lois anglaises contiennent

: <

pour objet l'assurance mutuelle des navires appartenant aux membres de la compagnie...

"

Le législateur anglais a donc trouvé dans la mutualité l'élément caractéristique dont parle M. Bayley, la communauté des profits. Il n'a pas pensé qu'un avantage qui peut se chiffrer par millions ne soit qu'une simple illusion.

J'ajouterai que c'est la puissance des principes agissant sur les esprits, en dépit des raisonnements spécieux, qui a amené le législateur belge à décider que les associations d'assurances mutuelles sont régies par leurs règlements et qu'elles sont représentées en justice par leurs directeurs (loi du 11 juin 1874, art. 2).

Plus on examinera cette question, plus on sera convaincu que le législateur a reconnu implicitement ce que quelques orateurs ont cru devoir contester en s'appuyant sur la jurisprudence (1).

142. Quant au partage du bénéfice, les parties pourront le régler librement; à défaut de stipulation à cet égard, il se fera proportionnellement à la mise de chacun (C. civ., art. 1853). Mais je ne sais pas pourquoi, dans le même cas, celui qui a apporté son industrie n'aura qu'une part égale à celle de l'associé qui a le moins

une série de formules et de modèles, tels qu'avant-projets, inventaires, afin de mieux préciser la pensée du législateur. Je ne sais si le but est atteint, car ces lois sont en général longues et peu précises, tout en contenant beaucoup de détails et d'énumérations inutiles. Quant aux actes, ils sont bien plus prolixes encore.

(1) NAMUR, t. III, no 1425, enseigne que les sociétés d'assurances mutuelles ont aujourd'hui une individualité juridique, à l'instar des sociétés commerciales proprement dites. — Tribunal de Bruxelles, 24 juillet 1877 (Pasic. belge, 1878, 3, 153); tribunal de la Seine, 11 janvier 1876 (Pasic. franç. 1877, 2, 233), et le réquisitoire prononcé, sur l'appel, par M. l'avocat général Hémar.

apporté (art. 1853, § 2. Les raisons données par les auteurs ne me satisfont que médiocrement ou, pour mieux dire, me paraissent inadmissibles. Le tribun Gillet dit que l'associé doit s'imputer à lui-même de n'avoir pas fait d'avance stipuler le prix de sa mise. Est-ce plutôt à lui qu'aux autres à s'imputer cette omission? Il me paraît qu'une moyenne entre la plus forte et la plus faible part eût été plus juste ou bien une répartition égale entre tous. Pothier était de cet avis: Lorsque la valeur des apports est incertaine, c'est l'égalité absolue qui doit prévaloir (1). » On peut s'étonner aussi de voir l'article 1853 dire « Celui qui n'a apporté que son industrie », alors que nous avons vu, dans l'exposé des motifs de l'article 1833, cette réflexion fort juste que celui qui apporte son industrie contribue souvent pour la plus forte part à former le fonds social.

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C'est un motif pour les parties contractantes d'être attentives à tout ce qui concerne la répartition des bénéfices ou des pertes (2). Mais si toutes les parties ont apporté leur industrie, ou si le reste de leur apport est insignifiant, il faudra revenir à l'égalité dans la répartition (3).

143. L'article 1855, § 1, déclare nulle la convention léonine, c'est-à-dire celle qui attribuerait tous les bénéfices à l'une des parties. On conçoit en effet que ce ne serait pas là une société, mais une donation déguisée, si ce n'était le résultat de l'oppression du faible par le fort, ou du dol et de la fraude. Il fallait donc annuler cette convention. Quant à l'application de ce principe, elle ne sera pas toujours sans difficulté. Ainsi ce serait à tort

(1) POTHIER, Société, no 73; L. 29, D., Pro socio; Inst., de societate, § 1. (2) Liége, 8 août 1379 (Belg. jud., 1879, p. 1399).

(3) Nancy, 14 mars 1868 (D. P., 1869, 2, 92).

qu'on verrait le caractère de clause léonine dans une société formée par des personnes dont les unes ont stipulé qu'elles ne participeraient à aucune perte ou déficit, qu'elles ne fourniraient pas de fonds à l'association et qu'elles ne prendraient part dans les bénéfices éventuels qu'à titre de leur coopération aux affaires sociales et à raison de la garantie par aval accordée par elles pour un crédit ouvert chez un banquier. La raison de décider, c'est que l'associé ayant fait une mise résultant de son industrie a pu stipuler valablement qu'il serait affranchi des pertes. Il en serait autrement s'il avait mis des fonds dans la société (1).

144. La nullité s'applique-t-elle à la société elle-même ou seulement à cette clause illicite? Delvincourt (2) pense que la société est toujours valable; et comme alors, au moyen de cette nullité, l'acte de société est censé ne contenir aucune stipulation relativement au partage des bénéfices, on doit se conformer à l'article 1853, et la part de chaque associé doit être déterminée en proportion de la mise de fonds. Pardessus et Zachariæ émettent la même opinion (3).

La loi 29 Pro socio que nous venons de citer prononce, au contraire, la nullité de la société Nos consentimus talem societatem nullam esse. "

Avant d'aborder les arguments contraires, ajoutons à l'opinion des trois jurisconsultes nommés ci-dessus celle de Delangle. Il s'exprime ainsi :

< Mais que faut-il décider dans le cas où, contrairement

(1) Cass., 3 février 1881 (Pasic., 1881, 1, 94).

(2) DelvincourT, liv. Ier, tit. III, sect. II, § 1, p. 17.

(3) PARDESSUS, no 998; ZACHARIÆ, § 377 in fine, reproduit les expressions de DELVINCOURT.

au vœu de la loi, la stipulation attribue tous les gains à l'un des associés, ou bien affranchit son apport de toute contribution aux pertes? Est-ce la nullité du contrat qu'il faut prononcer, nullité absolue, rétroactive, faisant disparaître la société; ou faut-il se borner à rejeter les clauses illégales, et appliquer aux rapports établis entre les parties les règles tracées par la loi pour le cas où la distribution des bénéfices et des pertes n'a pas été faite par le contrat?

la

<< La question est grave; d'une part, en effet, on peut dire Quelles qu'aient été les stipulations des parties, il y a eu entre elles communauté d'intérêts et d'affaires; et, du moment où les clauses réputées illicites sont effacées, le vice du contrat disparaît. S'il n'y a pas de justice à priver l'un des associés de tous les gains ou à le charger de toutes les pertes, il n'y en a pas davantage, parce qu'il s'est soumis à des conditions qui ne lient pas sa volonté, à lui attribuer exclusivement les résultats obtenus par société, quand ces résultats ne sont pas entièrement son ouvrage, quand ils ont eu pour cause l'exploitation de capitaux dont il n'a fourni qu'une partie, ou le concours d'une industrie dont les efforts mêlés aux siens ont déterminé le succès. Il en doit être en ce cas comme de celui où la société est déclarée nulle pour vices de forme; le passé doit être maintenu; et en rétablissant, par l'application des règles qui suppléent au silence ou à l'omission des parties, l'égalité blessée par l'acte primitif, on donne satisfaction à tous les intérêts.

Mais les objections s'élèvent en foule. Ce cas, peut-on dire, n'a rien de commun avec celui où la société commerciale est déclarée nulle pour inobservation des formalités destinées à donner la publicité légale au contrat. Si la jurisprudence a décidé que cette nullité dont les con

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