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tractants peuvent, au gré de leur intérêt ou de leur caprice, réclamer l'application à tout moment, n'affecte que l'avenir, et que le passé doit être liquidé comme si la convention eût été régulière; c'est que l'omission des formalités ne détruit pas l'existence d'une communauté d'affaires, créée par la volonté des parties; c'est que le seul but des actes est de faire preuve des conventions, et que lorsqu'un acte, même incomplet, même nul, explique et justifie les relations des contractants, il est conforme à la loi, ennemie de la mauvaise foi, que ces relations produisent, pour le passé, tous les résultats qu'elles comportent. Dans le cas, au contraire, où l'acte de société contient des stipulations illicites, ce n'est plus l'acte, l'instrument, la preuve, mais la convention même qui est frappée de nullité. Selon l'expression de Treilhard, la loi ne peut voir de consentement valable dans un contrat de société dont un seul recueillerait tout le profit; et il ne suffit pas dès lors de ramener à l'équité ce qui s'en écarte, et de contraindre l'associé qui s'est fait la part du lion à renoncer à d'illégitimes avantages; le contrat, œuvre de la violence, doit être anéanti pour le passé comme il l'est pour l'avenir, et l'associé, par une peine justement infligée à sa cupidité, ne doit recueillir aucune partie des bénéfices qu'il s'était réservés en totalité.

* Quelle que soit la force de ces raisons, nous préférons la première opinion : elle est plus conforme au texte de la loi; la solution contraire dépasse les nécessités de la justice. Qu'on lise avec attention l'article 1055 du code civil! Ce qu'il déclare nul, c'est :

1° La convention qui donnerait à l'un des associés la totalité des bénéfices;

2° La stipulation qui affranchirait de toute contribution aux pertes la mise d'un associé.

« La nullité ne s'étend pas virtuellement à la société même, à la communauté d'intérêts; et en effet, la loi ne peut pas faire que des rapports n'aient existé dans le passé, et que, par leur nature particulière, ces rapports n'aient créé certains droits aux parties. Le but de la société est de produire des bénéfices qui accroissent, en se partageant, la fortune personnelle de chacun des associés. Or, ce but n'est-il pas atteint quand la stipulation qui place un des associés dans une position exceptionnelle est annulée; quand le partage des profits a lieu dans la proportion des apports, et que toutes les mises sans distinction contribuent au payement des dettes? L'associé auquel on a imposé des conditions illégitimes a-t-il autre chose à demander que la nullité de ces conditions? Ne lui suffit-il pas de tirer du contrat les avantages qu'il aurait stipulés, s'il n'eût pas cédé à la force? L'application extrême de la loi ne ferait que déplacer l'injustice, en donnant à l'associé lésé par la stipulation un moyen de s'enrichir au détriment de son associé; elle ne doit pas être suivie. »

145. Comme on le voit, la controverse est aussi vive que possible. Delangle ne dissimule pas l'argument tiré des paroles de Treilhard. Il aurait pu, pour ne rien dissimuler, y ajouter les paroles du tribun Boutteville : « Si le projet a le soin d'ajouter qu'une convention qui donnerait à l'un des associés tous les profits et l'affranchirait de toutes les pertes N'EST PAS UNE SOCIÉTÉ, mais l'association si justement proscrite sous le nom de société léonine, c'est principalement pour ne pas laisser oublier que jamais la violence, la force ne produisent de véritables droits, de conventions légitimes.

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Il y a plus; comment le contrat de société, qui exige comme l'une des trois conditions essentielles un bénéfice à partager, peut-il être complet si la clause qui

règle ce bénéfice est nulle elle-même et par conséquent sans effet? Peut-on refaire une convention, et substituer arbitrairement un partage légal à celui que les parties avaient stipulé? Mais l'injustice d'un pareil contrat défait et refait par le juge pourrait être criante. On comprend l'annulation d'une convention interdite; mais la maintenir, river les parties à un contrat qu'elles n'eussent jamais signé! Un industriel fait une association dans laquelle il apporte à peu près tout en apportant son talent; il a le tort d'exiger une clause qui lui donne tous les bénéfices : ce n'est pas une société, mais c'est le fait de particuliers qui prêtent ou donnent leur argent à un industriel pour développer une grande industrie qui va peut-être enrichir une contrée. Non, ce n'est pas une société, et la loi le dit; dites-le après elle, mais ne dites pas qu'il y a société et que les parts seront réglées de telle sorte que celui qui a apporté son industrie, c'est-à-dire presque tout, aura une part égale à celle d'un associé qui a versé 100 francs. Voilà donc, en vertu d'une clause nulle, un homme obligé, et obligé au delà de ce que jamais aucune des parties n'eût demandé, de ce que jamais il n'aurait pu souscrire à moins d'être insensé.

L'article 1172 du code civil contient un principe qui, bien

que relatif à la condition, est d'une application évidente à notre hypothèse. Si la condition d'une chose prohibée par la loi annule l'obligation, c'est que la cause déterminante du consentement de la partie qui s'est obligée a disparu par l'annulation de cette condition.

- La solution, dit Duvergier, me semble écrite dans l'article 1172. Il y est dit que toute condition d'une chose impossible, ou contraire aux bonnes mœurs, ou prohibée par la loi, est nulle et rend nulle la convention qui en a dépend.

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« A la vérité, le mot condition désigne ordinairement un événement futur et incertain; mais on sait que souvent il est pris dans un sens différent par les jurisconsultes et par le législateur lui-même; que, dans beaucoup d'occasions, il est synonyme de clause, de stipulation. "Dans l'acception la plus étendue du mot, dit Toullier, les << conditions sont toutes les clauses des actes qui ont pour objet de suspendre l'obligation principale, de la résou« dre ou de la modifier. » Et plus loin : « Il arrive fréquemment que les conventions ne sont point bornées << aux points principaux qui font de part et d'autre l'objet - ou la matière du contrat. On y ajoute des pactes accessoires ou des clauses, pour imposer à l'une des parties << ou à toutes les deux, certaines obligations, certaines charges qui modifient le contrat, qui en altèrent ou qui « même en changent quelquefois la nature. Tous ces pactes accessoires sont vulgairement, et dans le sens le plus étendu du mot, appelés les conditions du contrat... On trouve même dans le droit romain et dans le code des textes qui qualifient de conditions ces pactes acces-soires ajoutés pour modifier le contrat. »

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En admettant que la disposition de l'article 1172 ait spécialement en vue les conditions proprement dites (celles qui consistent en un événement futur et incertain), du moins il faut convenir que rien n'est plus raisonnable que de l'étendre aux conditions entendues lato sensu, c'est-àdire aux pactes accessoires qui sont ajoutés aux contrats, puisque les unes et les autres ont le même but et produisent le même effet, la modification de la convention principale.

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Ici ce n'est pas seulement une condition qui fait défaut, c'est l'un des trois éléments essentiels exigés par l'article 1832 du code civil.

Du reste, la doctrine et la jurisprudence se prononcent dans ce sens (1).

Malepeyre et Jourdain se décident surtout par cet argument que ce serait vouloir despotiquement constituer une société sur des bases qui n'ont pas été convenues; substituer l'arbitraire à la volonté formelle des contractants.

On peut donc tenir pour certain que les arguments développés par Delangle ne sont que spécieux et ne supportent pas un examen approfondi. En résumé, il ne peut pas y avoir d'obligation sans consentement.

146. Nous avons terminé ce qui concerne les bénéfices, sans nous arrêter toutefois aux exemples divers cités par plusieurs auteurs, parce que cela nous aurait entraîné beaucoup trop loin. Mais, après avoir examiné successivement les trois conditions exigées par l'article 1832, il nous reste à dire un mot de la contribution aux pertes. C'est avec raison que la nécessité de supporter la perte en commun n'a pas figuré dans l'article 1832 : ce n'est pas l'une des conditions constitutives du contrat, c'est une conséquence nécessaire de la société.

Un ancien auteur développe cette pensée. Il explique pourquoi il n'a pas mentionné l'obligation des associés de partager le dommage.

(1) Arntz, t. II, no 1297; MOLINIER, no 386; MALEPEYRE et JOURDAIN, p. 82; DUVERGIER, no 103 ; TROPLONG, no 662; DALLOZ, Répertoire, vo Société, no 434; PONT, no 467; ALAUZET, t. Ier, no 188; Bruxelles, 11 janvier 1878 (Pasic., 1878, 2, 100); idem, 27 février 1878 (Pasic., 1878, 2, 248; Belg.jud., 1878, p. 767) — Tribunal de Bruges, 1er février 1875 (Cl. et B., 1876-1877, p. 26); tribunal de commerce de Gand, 7 octobre 1876 (ibid, 1878-1879, p. 1182).

Laurent enseigne que le contrat est inexistant; les parties contractantes n'ont pas besoin de demander la nullité de la société : t. XXVI, no 295. Voy. infrà, no 254.

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