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<< Deux raisons, dit-il, m'y ont déterminé : la première, c'est que les parties ne s'associent que pour faire un gain; car si elles prévoyaient que des chances mauvaises les constitueraient en perte, elles ne s'associeraient pas. La seconde, c'est que la communication de la perte n'est pas de l'essence du contrat de société, tandis que la condition de partager le gain est substantielle. Nulle société ne saurait exister sans communication du gain; mais on peut convenir que l'un des associés sera affranchi de toute participation au dommage; car il peut souvent arriver que le travail de l'un des associés est tellement précieux qu'il soit juste de lui faire cette condition. Il n'est donc pas nécessaire de parler de la perte dans la définition de la société; ce qui n'empêche pas que si les parties ne se sont pas expliquées sur les proportions dans lesquelles elle sera supportée, on ne la partage par moitié; mais cela se fait, non pas principalement, mais par une conséquence forcée de la règle qui veut que le gain se divise par moitié. Le dommage suit la règle du gain; c'est un sousentendu nécessaire, et voilà tout (1).

"

147. A défaut de convention, les pertes se répartiront, comme les bénéfices, proportionnellement.

L'article 1855 interdit la société léonine en ce qui concerne les pertes comme en ce qui concerne les bénéfices. Nous l'avons déjà fait remarquer, ce ne serait pas une société que celle qui ferait supporter toutes les pertes par un associé ou qui ferait à l'un d'eux l'attribution de tous les bénéfices. Dans l'un et l'autre cas, la condition fondamentale de la société ferait défaut la mise en commun, la fortune, les espérances, les risques partagés, comme

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(1) DONEAU, Commentaire, liv. XIII, chap. XV, no 7.

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"

les travaux ou la participation au fonds social (1). La part peut varier, mais il faut bien qu'il s'en trouve une, pour qu'il y ait cette communauté exigée par la loi, comme par la nature même du contrat. Ce que le législateur interdit c'est la stipulation qui affranchirait de toute contribution aux pertes les sommes ou effets mis dans le fonds de la société par un ou plusieurs associés. Il n'est pas permis de dire que le fonds commun sera divisé en deux parts l'une inviolable et placée à l'abri de tous les événements défavorables et l'autre devant tout supporter; ce serait manquer à un principe inévitable dans le calcul des bénéfices qui ne sont que la différence entre le gain et la perte. Si la société gagne 100,000 francs et en dépense 80,000, le bénéfice sera de 20,000 francs. Comment donc la loi tolérerait-elle une stipulation qui ferait à l'un des associés cette situation de prélever son tantième sur la recette brute ou bien, en cas de malheur, dans le cas où la mise commune serait absorbée, de retirer son apport franc et quitte».

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Sans doute cette dernière clause ressemble à celle qui ne met que la jouissance en société (art. 1851), mais alors il faut la stipuler clairement ou du moins la stipuler. Il résultera bien de là une société dans laquelle l'un des associés pourra supporter presque toutes les pertes; sans doute, il payera tout ce qui excédera la valeur, par exemple, de l'intérêt de la somme apportée par les autres. Mais ne voit-on pas que cela est régulier, sincère et loyal? J'apporte la jouissance en société; c'est la jouissance que je mets en commun, qui forme mon apport : ce n'est donc

(1) Liége, 21 janvier 1875 (Pasic., 1875, 2, 165; Belg. jud., 1875, p. 286). Cass., 30 décembre 1880 (Pasic., 1881, 1, 34); idem, 3 février 1881 (Pasic., 1881, 1, 94; Belg. jud., 1881, p. 323).

que cela que je puis perdre, ce n'est que cela que j'ai exposé.

148. Il en résulte que l'un des associés peut garantir à l'autre sa mise, moyennant un avantage sur les bénéfices. Faire assurer par les autres associés, autrement dit par la société, le remboursement de son capital, c'est en réalité user du bénéfice de l'article 1851; mais je conseillerai toujours de stipuler plutôt clairement qu'on ne met en société que la jouissance, car évidemment la clause par laquelle un associé se ferait assurer, par un autre, soit un bénéfice, soit l'exemption des pertes, serait nulle (1).

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149. Revenons aux termes de l'article 1855. Au second paragraphe, cet article proscrit la convention qui affranchirait de toute contribution aux pertes les sommes ou effets mis dans le fonds de la société par un ou plusieurs des associés. Il en découle, comme conséquence nécessaire, que la loi ne parle que de l'action produite sur le fonds social par les pertes; ce fonds répond des pertes, il doit les supporter. Mais celui qui apporte son industrie et qui ne conteste pas ce principe, demandant seulement à ne pas contribuer dans le passif, de ce fonds social de même qu'il n'a pas contribué à le former, ne contrevient. en rien à notre article. Il apporte son industrie, il en apporte, si l'on veut, la jouissance; il l'expose, il en perdra peut-être tous les fruits. Libre à lui de stipuler que ses pertes ne vont pas au delà. Le texte de l'article 1855 est clair, c'est donc surabondamment que nous invoquons les paroles du tribun Gillet qui le dit en propres termes.

S'il n'a rien stipulé, il aura le bénéfice de l'article 1853,

: (1) TROPLONG, nos 652, 658, 659; DELVINCOUKT, édit. de Bruxelles, 1838, p. 17; DURANTON, t. IX, p. 360-362; PONT, nos 455, 456, 457; voyez surtout no 459, où il combat l'opinion de TROPLONG que nous avons adoptée.

§ 2, et ne supportera que la part de l'associé le plus favorisé sur ce point. On ne pouvait lui refuser cette juste compensation à la position qui lui sera faite pour les avantages à partager.

150. Nous avons assez montré quelle est la raison d'être de l'article 1855 pour n'avoir pas besoin d'insister sur les motifs qui doivent le renfermer dans les hypothèses prévues. Il interdit les pactes léonins, ceux qui détruisent toute idée de société; mais la loi admet que beaucoup de considérations diverses peuvent donner aux associés des parts inégales et non proportionnées à leurs mises. Ainsi les associés peuvent stipuler :

Que l'un des associés sera exempté de toute contribution aux pertes, lorsque son apport sera absorbé. Il s'engage jusqu'à une certaine somme, comme le commanditaire (1);

Que l'un des associés prélèvera sa mise avant tout partage de l'actif (diminué nécessairement des dettes) (2);

Que l'un des associés n'aura de part dans les bénéfices et ne supportera les pertes que dans le cas de tel événement, tandis que les droits et les obligations des autres ne seront pas subordonnés à une semblable chance, pourvu d'ailleurs que l'événement ne dépende pas de la volonté des associés. En effet, toute condition de ce genre rendrait l'obligation nulle (3);

Que les héritiers du prédécédé n'auront droit, pour toute part sociale, qu'à une certaine somme fixe, sans aucune participation aux bénéfices ni aux pertes. Ce serait une

(1) Duvergier, no 256; DELVINCOURT, p. 16; ZACHARIÆ, § 377; Par DESSUS, no 997; Paris, 15 mars 1866 (J. du Pal., 1866. p. 919).

(2) Paris, 27 juillet 1869 (J. du Pal., 1870, p. 226); TROPLONG, no 657. (3) PARDESSUS, no 996.

aliénation conditionnelle (1) faite au profit des associés, et qui ne pourrait lier les tiers.

151. Mais celui qui apporte son industrie, s'il peut s'affranchir de toute contribution aux dettes, ne peut exiger une rémunération de son travail, pour le cas où la société serait en perte. Un contrat de ce genre serait sans doute valable comme louage d'ouvrage, mais non comme société (2). Il est contraire à l'idée dominante de la société. On peut ne pas contribuer aux pertes autres que l'industrie dont on a fait l'apport; mais toucher des bénéfices quand il n'y en a pas, c'est impossible. Or, l'associé ne peut être rétribué que sur les bénéfices, autrement il devient un employé.

C'est pour le même motif qu'un commis admis par son patron à toucher, au delà de son salaire, un tantième dans les bénéfices d'une maison de commerce n'est pas associé : il conserve la position de locateur d'ouvrage. Pour qu'il soit associé, il faut qu'il soit admis à la copropriété qui caractérise la société; mais un salaire fixe et un tantième dans les bénéfices, c'est purement et simplement une rétribution dont une partie est éventuelle (3).

152. Quant à la nullité de la clause léonine, il est évident qu'elle produit le même effet quand il s'agit des pertes que quand elle s'applique aux bénéfices (4).

153. Avant de quitter le contrat de société, nous avons

(1) MOLINIER, no 393.

(2) EMÉRIGON, Traité des assurances, t. II, p. 399; DELAMARRE et LEPOITVIN, t. Ier, no 39; TROPLONG, nos 649-650; DUVERGIER, no 263; Delangle, no 5.

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(3) Bruxelles, 4 juillet 1857 (Pasic., 1858. 2, 324). Même s'il avait apporté dans la maison une somme égale à celle que ce dernier y a engagée Lyon, 21 février 1844 (D. P., 1845, 2, 146).

(4) Voy. suprà, nos 143, 144, 145; infrà, no 256.

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