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De même de la société formée entre des particuliers, soit dans la vue de revendre les immeubles qui leur appartiennent respectivement, soit dans la vue d'acheter un terrain et d'y construire un marché (voy., infrà, no 188, la réfutation de ce dernier principe).

Même décision pour l'achat de l'immeuble dans lequel s'exploite une société en nom collectif; il n'est un acte de commerce, ni de la part des associés, commerçants, qui ont participé à cet achat, ni, à plus forte raison, de la part des autres acheteurs, non commerçants, étrangers à la société (1).

Poursuivant son examen, l'auteur oppose à cette jurisprudence deux arrêts de la cour de Paris, en date du 11 mars 1806 et du 11 février 1837, et un autre arrêt de la même cour du 28 août 1841, qui ne s'est fondé, pour refuser de déclarer commerciale une société formée pour l'achat et la vente d'immeubles, que sur cet unique motif que le but de l'association n'avait pas été de réaliser un bénéfice, mais de concourir à l'embellissement et à l'extension d'une ville, en y ouvrant une nouvelle rue.

Il donne un exemple bien plus remarquable lorsqu'il cite un arrêt de la cour régulatrice appliquant le mot marchandises au transport des personnes, et rendant passible des peines de l'article 419 du code pénal la coalition des entreprises de messageries pour modifier le prix des transports de voyageurs. Cette décision peut faire penser que la cour suprême hésiterait à censurer un arrêt attribuant le caractère de marchandise à des terrains ou à des maisons qui n'auraient été achetés que pour être revendus,

(1) Douai, 26 janvier 1843 (DALLOZ, Rép., vo Acte de comm., no 83); Paris, 30 avril 1839; Lyon, 26 février 1829; Orléans, 16 mars 1839 (Dalloz, ibid., vo Contrat de mariage, no 1814); P. B., vo Acte de comm., nos 216, 217.

soit dans le même état, soit après y avoir fait des constructions. Dalloz ajoute qu'en présence du développement toujours croissant des spéculations qui s'exercent sur les immeubles, il ne serait nullement surpris de voir cette jurisprudence s'accréditer et s'affermir; car le mot marchandises est un terme générique qui embrasse tout ce qui est l'objet d'un commerce, et ce qui n'est pas considéré comme tel aujourd'hui peut l'être demain, si la SPECULATION s'en empare.

Il ne croit pas toutefois pouvoir adopter cette doctrine. Il est vrai, dit-il, que les immeubles sont dans le commerce, en ce sens qu'ils sont susceptibles de transmission; mais on ne peut les faire rentrer dans le commerce proprement dit qui s'exerce sur les denrées et marchandises, c'est-à-dire sur des objets essentiellement mobiliers, dont la propriété s'acquiert par la simple possession, et qui, en un jour, peuvent passer dans la main de plusieurs acheteurs successifs.

Enfin, il répète que les immeubles dont la propriété est susceptible de modifications diverses, telles que l'hypothèque, les servitudes, sont transmis à des conditions et d'après des règles du droit civil qui ne semblent pouvoir être convenablement appréciées que par les tribunaux civils; les magistrats consulaires n'ont évidemment pas compétence dans des questions aussi compliquées.

180. On voit assez la pente vers une jurisprudence nouvelle; le changement dans les faits a produit un changement dans les idées.

La cour de Metz, dit de son côté Troplong, a pu voir, dans le riche pays placé sous sa juridiction, les ventes et reventes d'immeubles augmenter de plus en plus le nombre des propriétaires, stimuler l'esprit laborieux des agriculteurs jaloux d'entrer dans le cadre des possesseurs du sol

et donner enfin à la propriété foncière une valeur plus considérable que jamais.

Oui, tels sont les résultats de ce que l'on appelle vulgairement le commerce des biens; voilà comment les craintes ont été vérifiées...

181. Il importe d'examiner à fond cette tendance de deux éminents jurisconsultes vers une réforme de la loi. On m'objectera qu'il est bien inutile d'invoquer et de discuter ces autorités, puisqu'il y a à peine quelques mois que les chambres, en refusant aux sociétés immobilières même la forme commerciale, comme le voulaient le projet de loi et le rapport de la commission, ont pleinement manifesté leur opinion sur le caractère essentiellement civil de l'achat et de la vente d'immeubles.

C'est possible.

Aussi ne voulons-nous en rien méconnaître l'esprit de la loi. Nous ajouterons même que les diverses lois votées dans ces dernières années pour la construction de maisons d'ouvriers, pour la constitution de la Société immobilière de Belgique, et même pour la société destinée à reconstruire le quartier Notre-Dame-aux-Neiges, à Bruxelles, offrent des arguments dans le même sens.

182. Mais je crains de voir pousser trop loin ce principe. Si l'on réfléchit à ce qu'étaient les immeubles aux yeux des auteurs du code civil et du code de commerce, on verra qu'ils constituaient toute une institution conservatrice et aristocratique, une garantie de sécurité, une ligue contre les envahissements de la richesse mobilière et industrielle. Quand, en Belgique, le Congrès a admis la patente dans la supputation du cens des éligibles au sénat (1), il a obéi à des idées tout opposées à celles-là.

(1) Constitution, art. 56.

On ne pouvait comprendre, en 1807, comment un propriétaire vendant son vin et même son charbon, fût-il cent fois marchand, trafiquant, spéculant et commerçant, pourrait être soumis à la contrainte par corps: autant décréter que les sénateurs de l'empire et les maréchaux de France seraient justiciables des tribunaux de commerce comme un simple habitant de la rue Saint-Denis.

Voilà le point de départ et le seul.

L'argument qui a séduit presque tous les jurisconsultes est tiré de la difficulté de la transmission; il est sans valeur, parce qu'il constitue un anachronisme.

183. Tout est changé depuis l'empire.

La richesse immobilière est surpassée par la richesse mobilière; c'est celle-ci qui constitue les plus grandes fortunes. Le revenu de la terre diminue, l'intérêt du capital s'avilit; la main-d'oeuvre augmente, et j'entends par là, dans le sens le plus général, la rémunération du travail. La position des rentiers et celle des travailleurs sont interverties. Voyez le taux du 3 p. c. en Angleterre et même en Belgique! Sous Charles II, les capitalistes anglais prêtaient à 10 ou 15 p. c.

Mais, m'objectera-t-on, qu'a de commun la révolution dans les idées et dans la répartition des richesses avec les signes caractéristiques des actes de commerce?

Le voici :

L'argument qui domine, dans l'esprit de tous ceux qui ne peuvent considérer que comme un acte civil l'achat d'un immeuble pour le revendre et la revente après avoir acheté dans cette intention, c'est la stabilité, la permanence de toute acquisition de ce genre; cet argument est pris dans la nature des choses. Si nous démontrons que la transformation complète de la société civile, comme de la société politique, a amené un changement, sinon dans

la nature des choses, du moins dans la manière dont elles peuvent être envisagées, n'aurons-nous pas démontré qu'il faut apporter quelque souplesse dans cette étude et renoncer à la raideur de la législation impériale? Je ne dirai pas, comme Mahomet :

Il faut un nouveau culte, il faut de nouveaux fers,
Il faut un nouveau dieu pour l'aveugle univers!

Mais je vois que l'univers de 1882 ne ressemble guère à celui qui a vu tomber, il y a plus de soixante ans, les chaînes les plus pesantes dont on ait jamais accablé la servitude celles de l'âme, celles du cœur et celles de la pauvreté.

184. Troplong, qui n'était impérialiste que du second empire et dont les premiers écrits révèlent souvent des idées de progrès, ne touche pas pourtant le point délicat lorsqu'il dit, dans le passage cité plus haut, que les paysans deviennent propriétaires. Ce n'est pas là que se trouve le caractère de trafic et de spéculation. Le paysan qui divise la grande propriété en plaçant ses économies en valeurs immobilières est un acquéreur permanent qui transmettra son héritage, en le divisant encore, il est vrai, à ses enfants. Mais enfin, il est bien propriétaire foncier dans le sens de notre code civil.

Ce qui atteste l'anachronisme de la cour de Metz, c'est que l'ordre de choses nouveau a eu pour effet, non seulement de rendre le paysan propriétaire et de diviser la propriété, mais aussi de faire spéculer sur les immeubles. Qu'importent ce dernier mot et sa valeur originaire, si ces immeubles changent de nature, s'ils sont transmis à peu près aussi souvent que les balles de café ou les matériaux servant aux constructions? Sans doute, la terre ne se meut pas, mais la façon dont on traite de la valeur

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