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De même la société en nom collectif formée, par spéculation, pour l'EXPLOITATION d'une forêt et ayant pour objet le commerce de bois et la revente de l'immeuble, est une société commerciale (1).

Par le même motif est réputé commerçant celui qui fait sa profession habituelle d'acheter des terrains pour y bâtir des maisons et les revendre, après s'être procuré, à prix d'argent, les matériaux nécessaires pour ces constructions (2).

189. Ces principes sont tracés par la cour de Bruxelles de manière à fixer la jurisprudence, dans un arrêt qui concerne la Compagnie foncière du quartier royal de Koekelberg près de Bruxelles et du quartier de la nouvelle gare intérieure à Lille (3) :

- Attendu, pour ce qui a trait à leur moyen tendant à critiquer dans la forme ladite saisie ainsi que tous les exploits et formalités qui ont précédé, que tous les actes de la poursuite ayant été signifiés à la compagnie saisie en sa maison sociale, l'auraient été évidemment d'une manière régulière si cette compagnie est une société commerciale;

- Attendu que, pour en apprécier la nature, on ne peut s'arrêter aux déclarations faites à ce sujet par les associés postérieurement au jugement de condamnation du 22 décembre 1869; qu'il faut s'attacher à caractériser l'objet

(1) Bruxelles, 31 mai 1869 (Pasic., 1870, 2, 84).

(2) Liège, 28 février 1852 (Pasic., 1854, 2, 372); Lyon, 8 décembre 1870 (D. P., 1871, 2, 143). Il s'agit également, dans l'espèce, d'un entrepreneur qui achète des terrains pour revendre des maisons construites. Contrà, Bourges, 10 mai 1843 (Pasic. fr., 1844, p. 38).

(3) Bruxelles, 20 avril 1871 (Pasic., 1871, 2, 273); 26 mai 1875 (Pasic., 1875, 2, 226; Belg. jud., 1875, p. 931); Gand, 1er mai 1880 (Pasic., 1880, 2, 330); NAMUR, t. II, no 798; rapport de M. Pirmez (C. L., II, 11).

de la société et examiner si le but qu'on s'est proposé en la fondant est civil ou commercial;

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Attendu, à cet égard, qu'il ressort de tous les documents énumérés ci-dessus qu'elle n'a pas été établie en vue de spéculer seulement sur l'achat et la revente de terrains; qu'elle a été constituée à l'effet de créer un nouveau quartier, une agglomération nouvelle d'habitations, en mettant en valeur les terrains à acquérir par elle dans ce quartier au moyen de l'exécution d'un ensemble de travaux et de constructions, les uns d'utilité publique, les autres à l'usage des particuliers, de manière à lui permettre de bénéficier sur la vente de ses terrains et de ses propriétés ;

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< Attendu que cet objet principal de la société implique de sa part l'achat habituel et dans un esprit mercantile de nombreux matériaux, pour les revendre ou en louer simplement l'usage, après les avoir travaillés et mis en œuvre, ce que la loi répute acte de commerce;

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Qu'on ne peut donc se refuser à reconnaître la nature commerciale de cette société;

« Attendu que les appelants objectent en vain que si, jusqu'en mars 1870, les statuts renfermaient un paragraphe où il était question de la construction, soit pour compte de la société, soit pour compte de tiers, de maisons, villas, cottages et autres bâtiments, l'acte du 26 mars 1870 y a supprimé les mots « soit pour compte de tiers», et que celui du 3 juin 1870 a fait disparaître entièrement ce paragraphe;

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Que ce ne sont là que des changements de rédaction dans la détermination de l'objet de la compagnie, dont le GENRE DE SPÉCULATION est au fond resté toujours le même; « Qu'en effet, dût-on admettre qu'elle ne se propose plus de construire des bâtiments autrement que pour son

compte, en ce sens qu'elle ne les ferait plus directement pour celui de tiers, elle ne doit se livrer néanmoins à ces constructions que pour les rétrocéder à des tiers, la vente de ses terrains et propriétés étant son but final, mentionné formellement dans tous ses statuts; et quant à la suppression dudit paragraphe, qu'elle n'a pas de portée sérieuse, en présence du maintien de cet autre où il est reconnu que la société a en vue l'exécution des travaux afférents à la formation du nouveau quartier et à son raccordement à la ville de Bruxelles, travaux qui, dans l'esprit des sociétaires, doivent évidemment comprendre des constructions à l'usage de particuliers, propres à donner l'élan aux bâtisses dans la localité qu'ils veulent transfor

mer... >>

Inutile de faire ressortir quelle est la portée de la dernière partie de l'arrêt.

190. Revenons à la question décidée par l'arrêt d'Aix (1).

Prenons l'espèce du second arrêt de la même cour, en date du 6 décembre 1870, cassé le 21 juillet 1873 (2).

Il est constant en fait que la compagnie d'irrigation de France avait obtenu une concession ayant pour but :

1° L'exécution des travaux à faire pour l'exploitation d'une prise d'eau dans la Siague et le Loup, au moyen d'un canal de dérivation et de canaux secondaires;

2° L'exploitation de cette prise d'eau pendant cinquante

années.

Le seul motif donné par la cour de cassation pour imprimer à cette dernière partie de l'entreprise un caractère civil, c'est que cette eau dépend du domaine public et qu'en

(1) Suprà, no 185.

(2) Cass. Fr., 21 juillet 1873 (D. P., 1874, 1, 127

conséquence l'État n'aurait pas fait acte de commerce en la distribuant, d'où il faut conclure, par une conséquence ultérieure, que le cessionnaire de l'État conserve à cet acte le même caractère civil...

191. Ce seul argument est gros, je ne veux pas dire d'orages, mais de discussions.

D'abord l'eau n'est pas, à proprement parler, du domaine public, comme les routes et les rivières navigables (la rivière étant prise dans son ensemble) et comme voirie (1).

L'eau séparée du corps dont elle faisait partie est une chose commune, dont la propriété n'est à personne, mais que tout le monde peut s'approprier. Communia sunt aer, aqua profluens... Flumina autem omnia et portus publica sunt (2).

Donc, lorsque l'eau puisée dans la mer, dans un fleuve ou ailleurs, en vertu d'une concession ou d'un droit quelconque, ne fût-ce que le droit de puiser qui appartient à tout le monde (3), fait l'objet d'un commerce, lorsque celui qui a obtenu la concession nécessaire pour faire des canaux prenant l'eau dans une rivière ressortissant au domaine public, revend cette eau pour argent comptant, il la revend comme le marchand de denrées coloniales qui revend du café ou du sucre. Il achète pour revendre; il revend après avoir acheté dans cette intention; il vend, non pas le produit de son fonds propre, mais une marchandise achetée.

Dira-t-on que l'eau ne change pas de nature quand des particuliers se la sont appropriée? Ne peut-on faire une spéculation privée, un trafic essentiellement commercial, par l'exploitation du domaine public?

(1) Voy. paroles de Portalis rapportées (Pasic., 1876, 1, 329). (2) Instit., liv. II, t. Ier, § 1er.

(3) Même dans la mer, depuis l'abolition de l'impôt sur le sel.

On admet que les compagnies de chemins de fer sont des sociétés commerciales (1). Et cependant le double objet de leur entreprise est, comme pour la compagnie d'irrigation qui nous occupe :

1° La construction de la voie et de ses dépendances;

2o L'exploitation au moyen de péages, pendant un certain nombre d'années, de cette voie qui est, dès le premier jour, domaine public comme les grandes routes (2). Voilà bien une entreprise de transport par terre (3). La circonstance qu'elle s'exerce sur la voie publique n'a pas plus d'influence ici que pour les transports par diligences sur les routes pavées (4).

Il est vrai que l'argument, pris dans son ensemble, consiste à dire que l'État distribuant de l'eau ne sort pas de l'exercice de ses fonctions administratives: c'est ainsi du moins que je le comprends; or, la délégation à un tiers ne change pas la nature de l'acte. Ce dernier axiome est professé, il faut le reconnaître, par les arrêts les plus nombreux et les plus importants (5).

Laissons l'acte du gouvernement; qu'il soit civil ou

(1) Cass. Fr., 27 novembre 1871 (D. P., 1872, 1, 92); idem, 10 juin 1872 (D. P., 1872, 1, 263); Bruxelles, 1er février 1851 (Pasic., 1851, 2, 58); idem, 11 décembre 1850 (ibid., 1852, 2, 254); idem, 13 janvier 1862 (ibid., 1862, 2, 66). Il en est autrement lorsque des particuliers font des études afin de céder la concession à des tiers. Bruxelles, 10 mai 1869 (Pasic., 1870, 2, 148).

(2) Gand, 25 novembre 1857 (Pasic., 1858, 2, 161); Liége, 25 février 1858 (ibid., 1858, 2, 310); Cass., 29 mars 1858 (ibid., 1858, 1, 125).

(3) Code de commerce, art. 2.

(4) N'est-ce pas, d'ailleurs, une entreprise de fourniture d'eau? Voyez Toulouse, 24 novembre 1843 (DALLOZ, Répertoire, vo Acte de commerce, n 193).

(5) Metz, 16 mars 1865; Cass. Fr., 27 mars 1866; Paris, 31 mai 1869; idem, 17 août 1868; idem, 7 décembre 1869; Cass Fr., 18 décembre 1871 (D. P., 1872, 1, 25; 1865, 2, 65; 1866, 1, 428; 1870, 2, 183). — Contrà, Touiouse, 27 juillet 1860.

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