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administratif, peu importe; mais tous les arrêts, même les plus nombreux, ne pourront m'imposer la conviction qu'un acte ne change pas de nature quand il est confié à un tiers. Comme nous le verrons plus bas (1), c'est le renversement de tout le système admis par le législateur. Le propriétaire, en vendant son vin à un tiers qui le revend, fait de celui-ci un commerçant (2). Je vois partout, au contraire, que la nature de l'acte dépend de celui qui en est l'auteur; quand l'État cède à un marchand de foin les herbes croissant sur les remparts d'une forteresse, le marchand de foin fait acte de commerce en l'achetant comme en le revendant. On se prévaudrait en vain de ce que les forteresses sont des choses publiques relevant du domaine de l'État et de ce que l'administration de la guerre constitue un acte gouvernemental au premier chef. Quand un propriétaire vend son bois sur pied à un marchand qui le débite et le vend, ce dernier est un marchand de bois. La commission parlementaire n'a même pas voulu consacrer dans la loi le principe que l'exploitation du propriétaire constituerait toujours un acte civil (3).

(1) Voy. infrà, no 194.

(2) Cpr. Bruxelles, 23 juin 1859 (Pasic., 1867, 2, 349); OrillarD, no 313 et s.; NOUGUIER, p. 280 et s ; LAURENT, t. XXVI, no 225.

(3) Rapport de M. Van Humbeeck déjà cité :

<< Deux membres de la commission ont pensé qu'une restriction devait être apportée au texte proposé, pour ne pas soumettre à la juridiction commerciale les faits qui se rattachent directement à l'exploitation des biens-fonds.

"L'exploitation d'une forêt, d'une ferme, d'une minière, d'une carrière, peut nécessiter une certaine préparation des produits de ces exploitations.

« D'après ces membres, le travail que subissent ces produits ne peut, d'une manière absolue, être érigé en acte de commerce.

<< Celui qui, exploitant sa forêt, fait du charbon avec la coupe de taillis, fait des billes ou scie en planches la futaie; celui qui, extrayant du grès, le convertit en pavés ; celui qui presse les produits de son vignoble pour

Admettez donc que l'exécution des travaux de construction ne doive pas être prise en considération et que nous ne devions nous attacher qu'à l'exploitation pour tracer le caractère de la société d'irrigation; il m'est impossible cependant de voir chez un marchand d'eau autre chose que ce qu'on voit chez un marchand de toile ou de coton. 192. La cour de Toulouse (voy. n° 185) a mille fois raison de dire:

Que les concessionnaires d'un canton de pêche sont des marchands de poisson;

Que la dénomination des actes importe peu;

Que c'est par un véritable abus de mots que l'on veut assimiler cet acte à un fermage.

Il est impossible d'être plus marchand de poisson que celui qui se rend adjudicataire du droit de pêche : il paye une somme déterminée qui se trouve être le prix du poisson, objet de son entreprise, et il espère faire un bénéfice sur le trafic de cette denrée. Il est bien vrai que les poissons vendus ne sont pas déterminés le jour de la vente, mais le droit de l'acheteur se fait par la pêche, comme dans l'achat d'un coup de filet (1); voudra-t-on distinguer entre la vente du droit de prendre le poisson et la vente du poisson lui-même? Ce ne serait pas sérieux. Ayant le droit de prendre du poisson, droit exclusif, payant ce droit

en faire du vin, qui rouit le chanvre et moud les grains de ses terres, fontils des actes de commerce? deviennent-ils commerçants si ces actes sont habituels ?

"La négative doit incontestablement prévaloir, d'après l'opinion de ces membres, qui proposent, pour la consacrer, de rédiger l'article comme suit :

"Toute entreprise de manufactures ou d'usines, autres que celles que le propriétaire crée pour l'exploitation de son fonds...

"La commission a maintenu la rédaction portée au projet. »

(1) POTHIER, Vente, no 5; TROPLONG, Vente, no 204.

et usant de ce droit, il est acheteur. C'est encore une subtilité que de dire que le poisson n'appartenant pas à l'État (1), celui-ci ne peut le vendre; s'il vend le droit de pêcher le poisson, n'est-ce pas au moyen du prix que le pêcheur est devenu propriétaire? L'oracle de Delphes lui-même n'aurait pu embrouiller cette question (2). C'est tellement une vente, que la loi française du 15 avril 1829, article 5, oblige celui qui a pêché sans permission de restituer le prix du poisson au concessionnaire (3). On appellera cela droit d'occupation, mais le droit d'occupation, qui se paye à prix d'argent et qui constitue un monopole, ne diffère pas d'une vente; à moins que l'on ne veuille prétendre que celui qui vend un coup de filet ne vend rien ou que l'État, en déclarant qu'il réserve à une seule personne déterminée le droit de pêche et qu'il punira quiconque voudra usurper ce droit, fait un contrat innomé : soit, ne le nommons pas. Mais, afin de ne pas jouer sur les mots, disons que celui qui revend après avoir occupé à prix d'argent fait un acte de commerce.

193. Pour conclure, nous dirons qu'une société formée pour exploiter l'irrigation d'une contrée, pour exploiter le droit de pêche, doit adopter la forme commerciale (4). Tel est le côté le plus intéressant de la question. Je ne puis croire que les tribunaux déclarent civiles des sociétés qui se rapporteront à des actes de trafic et de spéculation :

(1) DEMOLOMBE, Successions, t. VII, nos 29 et 30; TOULLIER, t. IV, noa 5 et 24; POTHIER, de la Propriété, no 54.

(2) TROPLONG, Vente, no 205.

(3) DEMOLOMBE, t. VII, no 29. — Voy., en Belgique, loi du 15 novembre 1845; 8 novembre 1843, 17 et 14 mars 1845.

(4) Gand, 1 mai 1880; 3 décembre 1881 (Belg. jud., 1882, p. 67-68). PARDESSUS, t. Ier, no 6; DALLOZ, Rép. v° Acte de commerce, no 27; NAMUR, t. Ier, nos 66 et 67; t. II, no 798. Bruxelles, 29 juin 1871 (P. 1872, 2, 336).

l'intérêt du commerce ne le permettrait pas. Ils s'inspireront de ces paroles de Dalloz, beaucoup plus juste appréciateur des nécessités commerciales, lorsqu'il a commenté l'arrêt du 3 février 1869, qu'il ne l'a été depuis :

La nouvelle règle que la cour de cassation vient de poser permettra aux tribunaux, dans la plupart des cas, de soumettre aux lois du commerce ces grandes spéculations sur les constructions et sur les immeubles qui ne font pas courir moins de risques à ceux qui s'y livrent et aux tiers que les opérations commerciales les plus hasardeuses. C'est parler d'or, mais il faudrait persévérer dans cette nouvelle règle. Nouvelle en effet, parce que, la nature des choses venant à changer, chaque jour amène des faits nouveaux :

Ut silvæ foliis pronos mutantur in annos,

Prima cadunt: ità verborum vetus interit ætas,
Et juvenum ritu florent modo nata vigentque (1).

194. En voici la preuve :

Le conseil communal d'Alle avait concédé au sieur Hoffman, pour le terme de quatre-vingt-dix-neuf ans, le droit d'exploiter les gisements ardoisiers sur certaines parties de la commune. Le prix était réglé à raison d'une somme annuelle de 100 francs pour chaque carrière mise en exploitation. Par acte du 30 novembre 1860, Hoffman, imbu de cette fausse idée que le cessionnaire du propriétaire le remplace en tout, constitue une société civile pour exploiter lesdites carrières. Assigné par la commune, il opposa une nullité de procédure fondée sur ce que, la société étant civile, tous les actionnaires devaient être. mis en cause.

(1) HORATII, De Arte poet., v. 60-62.

Mais la cour repoussa ce système :

"Attendu qu'elle ne se borne pas à extraire et à vendre le schiste ordinaire qui lui est cédé par l'acte de concession, mais qu'elle le met en œuvre et le convertit en ardoises qui sont livrées à la consommation; qu'elle présente ainsi tous les caractères d'une société de commerce (1)... >>

"

195. Il en serait autrement si le propriétaire lui-même exploitait et se bornait à vendre.

Quid si le propriétaire, et non le tiers cessionnaire, y ajoutait un travail, tel que la transformation des pierres en pavés?

Il faut évidemment distinguer quelle est l'importance de la fabrication et si elle peut constituer une entreprise de manufactures ou d'usines.

Il a été jugé qu'il y a acte de commerce lorsque : « les soins et la régularité apportés à la taille de ces pavés, ainsi que l'étendue et la permanence des ateliers ouverts à cette fin, démontrent que cette industrie constitue, dans le chef des appelants, l'acte de commerce spécifié par l'article 632, § 2, du code de commerce (2). » Il en serait surtout ainsi, sous l'empire de l'article 2 du code de commerce, depuis l'addition du mot : « usines ».

"

De même, une société formée pour l'exploitation d'une ardoisière est commerciale, alors même que les statuts là

(1) Liége, 21 mars 1868 (Pasic., 1868, 2, 407); Liége; 24 décembre 1858 (ibid., 1859, 2, 151); Angers, 5 février 1842 (DALLOZ, Répertoire, vo Acte de commerce, no 286).

(2) Bruxelles, 22 février 1854, affaire Zaman (Pasic., 1854, 2, 300). Cette entreprise forme aujourd'hui l'objet d'une société anonyme, par acte du 12 août 1864: DEMEUR, Sociétés anonymes, t. Ier, p. 424. Voy. aussi Bruxelles, 24 juin 1874 (Belg. jud., t. XXXII, p. 968). — Infrà, no 197.

Le contraire a toutefois été jugé le 4 janvier 1843 par la même cour (Pasic, 1843, 2, 34); Pardessus, no 11.

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