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puisque toute convention suppose la réunion des volontés de ceux qui y interviennent.

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Or, la volonté doit être le produit d'une détermination libre autant que réfléchie. Le consentement, qui n'a été donné que par l'effet de l'erreur, du dol ou de la violence, n'est donc pas un consentement réel et valable.

Mais toute espèce de violence, de dol ou d'erreur ne suffit pas pour infirmer une convention; il serait trop aisé de s'affranchir de ses engagements. Il faut que l'erreur ait porté sur la substance même de la chose, ou sur le motif déterminant de l'engagement: il faut, à l'égard du dol, qu'il soit évident que, sans les manoeuvres imputées à l'une des parties, l'autre n'aurait pas contracté; il faut enfin que la violence, quel que soit celui qui l'a exercée, ait été de nature à faire impression sur une personne raisonnable et qu'elle ait été capable de lui inspirer la crainte d'exposer à un mal considérable et présent sa personne, sa fortune ou celles des objets de ses plus intimes affections.

"

I. De l'erreur.

19. L'esprit de la loi est bien clair, et cependant aucune matière n'a donné aussi libre carrière aux interprétations les plus diverses.

Observons d'abord que l'erreur de droit, comme l'erreur de fait, aura pour conséquence de détruire radicalement un consentement qui n'est qu'apparent, puisqu'on n'a pas voulu le donner, puisqu'on n'a pas consenti (1).

(1) ZACHARIÆ, §§ 28 et 343; t. Ier, p. 382, note 4; LAROMBIÈRE, sur l'article 1110, nos 23-28; TOULLIER,t. III, no 58; MERLIN, Répertoire, vo Choix, § 1, no 10; Bruxelles, 19 mai 1841 (Pasic., 1841, 2, 307); Gand, 12 mai 1843 (ibid., 1844, 2, 40); Liége, 22 avril 1863 (ibid., 1863, 2, 181).

20. Mais il faut aussi que l'erreur soit assez grave pour porter sur la substance de l'engagement. Fait ou droit, la question est toujours la même.

« Il faut que l'erreur ait porté sur la substance même de la chose ou sur le motif déterminant de l'engagement (1).

"

21. Ces mots : motif déterminant, montrent bien ce que doit être l'erreur. On doit se demander quel est le motif qui a entraîné les parties et voir s'il y a bien eu concours de volontés, si elles ont voulu la même chose. 22. L'Exposé des motifs développe et précise la même idée (2).

...

Pour l'erreur soit une cause de nullité de la que convention, il faut qu'elle tombe, non sur une qualité accidentelle, mais sur la substance même de la chose qui en est l'objet. Il faut, s'il y a erreur sur la personne, que la considération de cette personne ait été la cause principale de la convention en un mot, il faut que le juge puisse être convaincu que la partie ne se serait point obligée si elle n'avait pas été dans cette erreur. >>

« C'est en suivant cette règle que l'on doit décider avec Barbeyrac et Pothier que l'erreur dans les motifs d'une convention n'est une cause de nullité que dans le cas où la vérité de ces motifs peut être regardée comme une condition dont il soit clair que les parties ont voulu faire dépendre leur engagement.

"

23. L'opposition entre l'erreur sur la substance de la chose et l'erreur sur la personne, puis ensuite l'opposition, en ce qui concerne cette dernière, entre la personne qui est la cause principale de la convention et celle qui n'est

(1) Voy. suprà, no 18.

(2) LOCRÉ, t. VI, p. 150 (VIII, 10).

que secondaire, prouvent assez clairement que substance de la chose signifie objet principal du contrat. C'est ainsi que l'Exposé des motifs cité plus haut s'exprime en disant Non sur une qualité accidentelle, mais sur la substance même de la chose qui en est l'objet. L'Exposé des motifs ajoute, à propos de l'erreur sur la personne :

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...

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En un mot, il faut que le juge puisse être convaincu que la partie ne se serait point obligée si elle n'avait pas été dans cette erreur.

Tout est là:

"

La partie se serait-elle obligée si elle n'avait pas été dans cette erreur?

Et remarquez que nous ne parlons ici que de l'erreur et non du dol et que, par conséquent, si l'une des parties est dans l'erreur, il n'y a pas lieu d'examiner si le cocontractant en a été la cause volontaire ou involontaire ou même s'il l'a connue. La nullité du consentement provient uniquement de ce que la volonté n'a pas porté sur l'objet réel du contrat; il n'y a donc pas eu de concours de volontés; il n'y a pas de corrélation entre le consentement et l'obligation, alors qu'il est de principe que l'obligation ne doit avoir d'autre étendue, comme d'autre base, que le consentement, puisque celui-ci peut seul lui donner la vie. La bonne foi de l'adversaire ne peut rendre vrai ce qui est faux.

24. L'erreur, dit Zachariæ (1), exclut de fait tout consentement Non videtur qui errat consentire (L. 116, D. § 2, de Reg. jur., 50, 17; L. 57, D. de Obl. et act., 44, 7).

(1) ZACHARIÆ, loc. cit.

Et Pothier (1):

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L'erreur est le plus grand vice des conventions; car les conventions sont formées par le consentement des parties, et il ne peut pas y avoir de consentement lorsque les parties ont erré sur l'objet de leur convention.

« ... Si quelqu'un entend me vendre une chose pour un certain prix et que j'entende l'acheter pour un moindre prix, il n'y a pas de vente; car, dans tous ces cas, il n'y a pas de consentement.

Sive in ipsâ emptione dissentiant, sive in pretio, sive IN QUO ALIO, emptio imperfecta est (L. 9, D. de Contr. empt).

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L'erreur annule la convention, non seulement lorsqu'elle tombe sur la chose même, mais lorsqu'elle tombe sur la qualité de la chose que les contractants ont eue principalement en vue et qui fait la substance de cette chose. »

25. Troplong exprime la même idée (2) :

Du reste, il n'est pas toujours facile de distinguer ce qui, dans une chose, est qualité substantielle ou qualité accidentelle. Le moyen le plus sûr sera de recourir à la volonté des parties et au but qu'elles se sont promis en contractant. »

- En d'autres termes, dit Duvergier (3), qu'elles n'auraient pas contracté si elles avaient su que ces qualités n'existaient pas. Ainsi on a dit avec raison que la vente du tableau d'un artiste obscur, comme étant l'oeuvre d'un grand maître, serait nulle.

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(1) POTHIER, Obligations, no 17; LAURENT, t. XV, p. 560.

(2) TROPLONG, de la Vente, no 13; LAURENT, t. XV, p. 562 à 564; ARNTZ, t. II, n 17.

(3) Duvergier, Vente, no 144.

Duvergier reproduit ici la même idée que l'Exposé des motifs « Il faut que le juge puisse être convaincu que la partie ne se serait point obligée si elle n'avait pas été dans cette erreur. »

C'est en vertu de ce même principe de respect pour la vérité que l'article 1131 déclare sans effet les obligations sans cause ou sur une fausse cause.

Nous en trouvons d'autres exemples encore :

Articles 1376, 1377, 1378 et s. relatifs au payement de l'indú; les articles 2053 à 2058 (erreurs dans les transactions);

Article 180 (erreur par la cause déterminante du mariage);

Article 541, C. proc. civ. (erreurs de compte);

Articles 1974, 1975, C. civ. (rente viagère).

26. Toullier examine la question sous ses différentes faces et cite des exemples intéressants (1).

Il établit (no 37) que l'erreur sur le motif ou la fausseté du motif déterminant anéantit l'obligation »;

Et no 38, que «La réalité de la cause ou du motif déterminant est comme une condition inhérente au contrat, sans laquelle le consentement n'aurait point été donné, ni l'obligation contractée »;

Et p. 264, no 41, il explique avec sa lucidité habituelle comment les expressions n'ont pas toujours, dans la pensée des contractants ou du disposant, le sens qu'elles paraissent avoir au premier abord.

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...

Quoique je n'aie pas dit : Je donnerai 50,000 fr. à ma nièce si je recueille la succession de Titius, il est évident, par la manière dont je me suis exprimé, que je n'ai promis que sous cette condition. »

(1) TOULLIER, t. III, p. 263-264, 301-411.

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