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J'attache plus d'importance à la distinction en nullités relatives et nullités absolues (1).

254. J'ai posé plus haut (2) en principe que la nullité doit être demandée en justice (code civ., art. 1117). Les expressions nuls de droit de l'article 502 n'ont pas pour conséquence de dispenser les intéressés de s'adresser aux tribunaux.

L'article 692 du code de procédure civile, aujourd'hui article 27 de la loi du 15 août 1854, annule de plein droit l'aliénation de l'immeuble saisi, sans qu'il soit besoin de la faire prononcer en justice. L'article 960 du code civil et l'article 49 de la loi du 18 mai 1873 prononcent également une nullité de plein droit, qu'il n'est pas nécessaire de demander en justice (3); le texte de l'article 960 ne permet pas de doute. La société qui aurait eu pour fonds social la chose donnée deviendrait également nulle, mais non pas de plein droit (4).

Néanmoins il faut qu'un acte présente certaines conditions de validité apparente. Ainsi l'acte émané d'un enfant qui n'a pas atteint l'âge de raison ne devrait pas être respecté par les parties; elles devraient le considérer comme non avenu Sed quod diximus de pupillis utique de iis

(1) TOULLIER, loc. cit.; SOLON, Traité des nullités, no 9; LAURENT, t. Ier,

p. 76.

(2) Voy. suprà, no 16.

(3) ZACHARIÆ, § 709, 5o.. Il est vrai que le même auteur dit expressément le contraire (§ 37, p. 29, texte, et notes 7 et 8);-LAURENT, t. I, no 70, et t. XIII, no 81; D. Rep., vo Dispositions entre-vifs, no 1918. — Voy. Liége, 5 août 1843 (Pasic., 1844, 2, 260).

(4) ZACHARIÆ, § 709, 5o, en parlant de la revendication contre les tiers, repousse évidemment l'idée que la nullité serait prononcée de plein droit. Il paraît difficile d'admettre qu'une société qui existe, et dont tous les rouages fonctionnent, puisse être annulée autrement que par une action en justice.

verum est qui jàm aliquem intellectum habent (1). Il en serait de même de la vente ou de la mise en société d'une chose qui n'existe pas (2).

255. Mais dans quel cas y a-t-il nullité absolue ou nullité relative? Quand la nullité opère-t-elle avec effet rétroactif en replaçant les choses dans leur ancien état, du moins autant que possible, et quand la nullité ne rétroagit-elle que jusqu'au jour de la demande? Telles sont les questions que soulève l'article 4 de notre loi.'" La nullité absolue est celle qui peut être invoquée par tous les intéressés contre tous les intéressés (3); la nullité relative n'appartient qu'à certaines personnes, telles que les mineurs, les femmes mariées, les interdits, les communes (4).

256. La nullité pour cause illicite, dont nous avons parlé déjà (5), a pour effet de rendre l'engagement, le contrat, nul et de nul effet; personne ne peut l'invoquer : Nulla doli communicatio est (6). « En un mot, dit Duranton, une semblable convention ne saurait produire aucune action (7).

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257. Il en résultera un état de choses qui, sans doute, ressemble beaucoup à l'anarchie; quiconque possédera, fût-ce sans droit, conservera, parce que personne n'a le droit de lui rien réclamer. Les bénéfices resteront à l'associé qui les aura perçus. Du moment où tous les associés.

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(1) Instit., § 10 (XIX, 111); LAURENT, t. Ier, no 71; XVIII, no 531. (2) ZACHARIÆ, § 37. Voy. suprà, no 40, le cas de violence matérielle. (3) Le jugement qui déclare, sur la demande d'un des intéressés, la nullité d'une société à responsabilité limitée pour vice de constitution, profite à tous les intéressés. Cass. Fr., 2 juillet 1873 (D. P., 1874, 1, 49).

(4) Exemple : Bruxelles, 11 avril 1864 (Pasic., 1866, 2, 42).

(5) Voy. suprà, nos 105 et 143; LAURENT, t. Ier, no 55-56.

(6) L. 1, § 14, D., de Tutelæ et ration, dist. (XXVII, III). (7) DURANTON, no 328.

peuvent être repoussés par une nullité absolue, le posses seur pourra écarter tous les prétendants (1) par l'exception de nullité.

Si le possesseur reste à l'abri de toute réclamation pour les bénéfices qu'il a touchés (2), celui qui aura été condamné pour le fait illicite auquel la loi refuse tout effet, sera sans action pour demander que ses associés, qui sont aussi ses complices, soient tenus de l'indemniser pour leur part (3); la nullité est absolue, nullum producit effectum (Cod. civ., art. 1131).

Nous avons vu (4), en parlant de l'objet du contrat de société, que la contrebande ne peut être la base d'un contrat valable. Toullier qui essaye une distinction, où du reste il n'a pas été suivi, entre les entreprises réprouvées par la morale et celles qui ne le sont que par la loi, voudrait que l'associé qui a payé l'amende pût en revendiquer le montant contre ses associés, chacun pour sa part et portion. Nous avons déjà réfuté cette doctrine (5); le moindre des inconvénients auxquels elle conduirait nécessairement serait d'ouvrir une large porte à l'arbitraire. « Avec nos mœurs un peu relâchées, dit Duvergier, comment déterminer la limite entre les faits essentiellement criminels et les actes contraires aux règlements arbitraires (6)?» La jurisprudence a sévèrement maintenu l'exécution de la loi qu'il faut exécuter avant tout et qu'on ne peut avoir la prétention de modifier sous prétexte qu'elle n'est pas

(1) L. 8, D., de Cond. ob turpem causam.

(2) VOET, Pro socio, no 57; POTHIER, Société, no 36.

6

(3) DUVERGIER, nos 27 et 28; PONT, no 49; LAURENT, t. Ier, nos 69-70, t. XVIII, no 532.

(4) Voy. suprà, nos 117, 118 et s.; LAURENT, t. Ier, no 54.

(5) Voy. suprà, no 115.

(6) DUVERGIER, no30; DELANGLE, no 103; TROPLONG, no 102; DELAMARRE et LEPOITVIN, t. Ier, no 51.

équitable. Un arrêt du 18 février 1837 porte, en propres termes, que l'obligation fondée sur une cause illicite ne peut avoir aucun effet; que la cause est illicite quand elle est contraire à l'ordre public et interdite par la loi (1); il s'agissait de l'introduction en France de marchandises prohibées. La même décision a été rendue, le 15 juillet 1838, au sujet d'une société constituée pour la fabrication de remèdes secrets et légalement prohibés (2). On cite encore un arrêt du 25 août 1835, rendu par la chambre des requêtes et un autre de la cour de Nancy du 9 janvier 1826 (3).

258. Voilà pour le partage des bénéfices; mais que dire des mises sociales? Quelque impuissant que soit le contrat, comment peut-on admettre qu'il n'ait aucun effet sur la communauté temporaire formée entre associés ou prétendus tels ou, si l'on veut, entre personnes ayant un intérêt commun? Grande difficulté, car si la société est nulle, qui sera donc propriétaire des mises versées? Il est évident que les associés ne peuvent se forcer mutuellement au versement de quoi que ce soit, puisque le demandeur serait repoussé par l'exception de nullité (4).

Ici encore, il faut bien admettre la doctrine de la possession melior est causa possidentis. Sans cela nous tomberions dans des contradictions perpétuelles et nous ouvririons à la jurisprudence la voie des mécomptes les plus déplorables et des décisions les plus contraires à la loi. Delangle et Duvergier, se fondant sur ce qu'il n'y a

(1) DALLOZ, Répertoire, vo Obligations, no 593.
(2) DALLOZ, Répertoire, vo Société, no 173.
(3) DALLOZ, Répertoire, v° Société, no 156.
(4) BÉDARRIDE, no 25.

pas eu de société ni par conséquent de translation de propriété, estiment :

Que, si les choses sont encore entières, chacune des parties reprend sa mise;

Que les pertes, s'il en survient, pèsent exclusivement et sans recours sur la partie qui les a faites.

Cette doctrine se soutient par cet argument spécieux que le demandeur n'agit pas ici comme il devrait le faire pour obtenir une part de bénéfices en vertu du contrat de société, mais qu'il réclame une chose indûment payée.

Mais on ne peut ainsi rejeter un fait illicite et s'en dégager pour se créer une position juridique à son choix. On n'a pas fait, à proprement parler, un payement indû, on a payé sur une cause reconnue illégale : Facta pro infectis haberi non possunt. Le demandeur doit justifier d'un droit pur de toute nullité; ici il ne peut qu'invoquer un versement effectué, non pas par erreur ni pour une dette apparente, mais en exécution d'un contrat que la loi réprouve et qu'elle annule. En vain objecte-t-on que le défendeur n'est pas plus irréprochable et qu'il ne lui appartient pas de critiquer un complice; le défendeur n'a rien à prouver, il examine la demande, il la critique et il est en droit d'exiger qu'elle soit justifiée. C'est ainsi que la cour de Gand a décidé que la règle : Nemo auditur propriam turpitudinem allegans n'est pas applicable à celui qui oppose une nullité par voie d'exception pour se soustraire à l'exécution d'une convention illicite poursuivie à sa charge (1). Ce n'est que la conséquence d'un principe posé par la cour de cassation dans une autre matière,

(1) Gand, 30 juillet 1852 (Pasic., 1854, 2, 177); Besançon, 19 mars 1862; Riom, 11 août 1846; Paris, 3 février 1859 (D. P., 1862, 2, 58; 1846, 2, 179 ; 1859, 2, 112).

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