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société qui manque d'un acte constitutif. Nulle en la forme, elle doit être refaite en la forme légale (Cod. civ., art. 1339). » Cette citation de l'article 1339, qui rappelle la nullité radicale de la donation pour vices de forme, montre assez quelle est la pensée du législateur (1).

263. Il est vrai que l'honorable rapporteur ajoute :

La jurisprudence a eu souvent à se prononcer sur les droits des membres d'une société déclarée nulle, qui, avant d'être annulée, a eu une existence plus ou moins longue. Après avoir oscillé entre diverses solutions, elle a fini par reconnaître que la nullité qui frappe la société en dissolvant tous les liens sociaux, n'empêche pas qu'il y ait eu une communauté de fait, dont les conséquences sont réglées par les conventions des parties, et ces conventions peuvent, à cet égard, être prouvées par tous les moyens de droit commun (2). Cette solution est trop impérieusement commandée par l'équité (3) pour qu'elle puisse faire doute sous l'empire d'une loi adoucissant les rigueurs formalistes du code actuel, et pour qu'il soit nécessaire de la consacrer par un texte spécial. L'exécution du contrat social, nul pour défaut de forme, tout en restant impuissante à le valider, lui assurera donc ses effets dans la communauté de fait que cette exécution aura produite.

Les parties contractantes, coupables de l'inobservation des formes légales, ne peuvent évidemment opposer aux tiers la nullité qui frappe leurs conventions. Sans qu'un texte soit nécessaire à cet égard, les tiers ont donc le choix, ou d'accepter la société telle qu'elle est formée, ou de la rejeter pour s'en tenir à la société telle qu'elle

(1) Voy. infrà, nos 269, 512 et suiv. Comparez NAMUR, t. II, no 809. (2) Bruxelles, 3 mai 1823 et 13 mai 1830 (Pasic., à leurs dates).

(3) Voy. TROPLONG, Société, no 249.

s'est présentée à eux, et en la supposant régie par les principes généraux qui obligent solidairement tous les associés qui prennent part à leur gestion.

"

264. Voyons quel était l'état de la jurisprudence au moment où la loi du 18 mai 1873 était soumise aux discussions des chambres législatives.

J'ai rappelé, dans l'Histoire du contrat de société, les ordonnances rendues sous le règne de François II, en 1560, et sous Henri III, en 1579. L'ordonnance de 1673, comme l'atteste le préambule, avait pour but d'assurer l'exécution de lois sans cesse méconnues; la nullité radicale, tant envers les associés qu'à l'égard des tiers, parut être le seul moyen assez énergique pour triompher de malheureuses traditions et de la faiblesse des tribunaux (1). L'article 6 était ainsi conçu :

« Les sociétés n'auront D'EFFET à l'égard des associés, leurs veuves, héritiers, créanciers, ayants cause que DU JOUR qu'elles auront été enregistrées et publiées au greffe du domicile de tous les contractants et du lieu où ils auront négocié. »

Impossible de concevoir rien de plus énergique la société ne prendra naissance, elle ne sera un sujet de droits que si elle remplit les conditions de publicité. Celles-ci sont nécessaires comme le contrat lui-même, comme le consentement des parties. La nullité sera radicale et tout le monde peut l'opposer, les associés comme les tiers, et on peut les opposer aux tiers: il n'y a jamais eu de société.

Néanmoins cette loi resta impuissante comme les autres, parce qu'elle ne fut pas exécutée par les tribunaux.

(1) SAVARY, t. Ier, p. 350; TOUBEAU, p. 92, 93.

265. Vint le code de commerce, articles 39 et 42, exigeant l'écriture et la publicité à peine de nullité.

L'écriture est donc de l'essence de la société commerciale, dit Troplong (1).

Non, disent Malepeyre et Jourdain, l'écriture ne se rapporte qu'à la preuve (2).

Persil, de son côté, disait : Pour les associés entre eux, rien ne peut tenir lieu de l'acte social, les tiers seuls sont admis à fournir la preuve de l'association par tous les moyens qu'il leur sera possible d'employer.

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Au conseil d'État, les opinions avaient été partagées. Un membre avait dit qu'on devait juger comme s'il n'y avait pas eu de société, c'est-à-dire qu'il n'y aurait pour le passé, comme pour l'avenir, ni solidarité active entre les associés, ni communauté de gains et de pertes (3). Cambacérès fut d'un autre avis, en ce sens du moins qu'il voulait que l'on réglât les affaires qui auraient été faites en société.

La jurisprudence se prononça en faveur de la nonrétroactivité, de telle sorte que les faits accomplis étaient régis par le contrat, bien qu'il fût irrégulier. La cour de cassation de France, par plusieurs arrêts, la cour de Paris, par arrêt du 26 janvier 1855 (4), et enfin la plupart des auteurs ne purent voir, dans la nullité pour défaut d'écrit ou de publicité, une nullité absolue rétroagissant au jour du contrat (5).

(1) TROPLONG, no 226.

(2) MALEPEYRE et JOURDAIN, no 173, invoquent deux arrêts.

(3) LOCRÉ, Esprit du code de commerce, art. 42, p. 183.

(4) Paris, 26 janvier 1855 (D. P., 1856, 2, 195); Cass., 31 décembre 1844 (D. P., 1845, 1, 75).

(5) DELANGLE, no 559; TROPLONG, no 249; ALAUZET, no 232; BÉDARRIDE, no 364; PARDESSUS, no 1007; MOLINIER, no 272.

Delvincourt allait même jusqu'à prétendre que l'acte ne pouvait être opposé aux tiers, mais qu'il était valable entre les associés, de telle sorte qu'aucun d'eux n'était recevable à se prévaloir contre les autres de l'inobservation des formalités prescrites par la loi (1).

Il est inutile de faire remarquer que si je confonds ici la nullité pour défaut d'écriture avec la nullité pour défaut de publicité, c'est qu'il serait difficile de les séparer dans l'étude de la législation tracée par le code de commerce. Mais notre loi nouvelle est bien différente.

266. En Belgique, la jurisprudence a été très partagée. La cour de Bruxelles a décidé que toutes les formalités des articles 39 et 42 du code de commerce, pour la validité des sociétés en nom collectif, doivent être observées à peine de nullité de la société. D'où la conséquence que l'omission des formalités voulues par ces articles peut être opposée par les associés eux-mêmes et, à plus forte raison, par les tiers (2).

L'arrêt décide également que ces formalités étaient substantielles et d'ordre public (code de commerce, art. 42). En conséquence, l'omission de l'une d'elles entraînait la nullité de la société, et cette nullité pouvait être provoquée par les parties comme par les tiers.

Le délai de quinzaine pour la remise de l'extrait au greffe se compte à partir du lendemain de la signature de l'acte (3).

Une société en nom collectif déclarée nulle, pour défaut d'accomplissement des formalités prescrites par l'article 42

(1) DelvinCOURT, Institutes de droit commercial, p. 34.
(2) Bruxelles, 28 janvier 1864 (Belg. jud., 1865, p. 781).

(3) Bruxelles, 10 février 1863 (Belg. jud., 1863, p. 474); idem, 11 août 1862 (ibid., 1863, p. 152, et les notes); NAMUR, 1re édition, t. Ier, p. 164.

du code de commerce, ne créait aucun lien entre les associés, qui pouvaient s'opposer réciproquement la nullité.

On en tirait la conséquence que la clause d'un acte de société annulée par laquelle il était stipulé : « que la société pourrait vendre l'établissement social dans son entier, pourvu que ce fût du consentement de la majorité » devenait nulle en même temps que la société elle-même (1).

Mais un arrêt du 8 juin 1870 se prononça contre la nullité absolue. Dans l'espèce, les parties avaient volontairement exécuté le contrat. La cour fait la distinction entre les nullités radicales et absolues résultant de ce que le contrat renferme des clauses illicites et les nullités qui ne résultent que d'un vice de forme.

Pour ces dernières, il y a communauté de fait, et cette communauté doit être liquidée d'après la volonté des parties telle qu'elle est exprimée dans la convention.

C'est aussi l'opinion défendue avec beaucoup de talent par feu le professeur Albéric Allard, dans un article de la Belgique judiciaire, tom. XXIV, p. 1301 (2).

Les conséquences de ce principe sont considérables; on a, pour la liquidation, un guide dans le contrat qui unit les parties, et si leur volonté n'est pas suivie quant au point principal, elles ont du moins une communauté réglée par leurs stipulations.

C'est ainsi que la cour de Grenoble a décidé que les

(1) Bruxelles, 28 avril 1852 et 11 mars 1868 (Pasic., 1853, 2, 5; 1869, 2, 247). — Voy. aussi Bruxelles, 1er décembre 1849, où il est décidé que le dépôt fait le seizième jour est inopérant et que la nullité est absolue; Cass., 28 juin 1849 (Pasic., 1850, 1, 17, et 1850, 2, 349); Gand, 12 août 1874; Bruxelles, 22 février 1875 (Pasic., 1875, 2, 6 et 100); NAMUR, 1re édition, t. Ier, p. 164.

(2) Bruxelles, 8 juin 1870 (Pasic., 1870, 2, 269); Cass., 5 février 1846 (ibid., 1847, 1, 219); Bruxelles, 6 août 1874 (Belg. jud., 1874, p. 1202).

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