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282. Toutefois, le conseil d'État ne s'est occupé que de la preuve testimoniale, que l'on a jugé à propos d'ajouter aux moyens de preuve résultant des livres et de la correspondance. Mais les autres moyens?

D'après Delamarre et Lepoitvin, ils sont au nombre de dix (1):

1° Par actes publics;

2° Par actes sous signature privée;

3° Par le bordereau ou arrêté d'un agent de change ou courtier dûment signé par les parties;

4° Par une facture acceptée; 5° Par la correspondance;

6° Par les livres des parties;

7° Par la preuve testimoniale, dans les cas où le tribunal croira devoir l'admettre (Code de comm., art. 109). La convention peut encore être constatée :

8° Par les présomptions dont parle l'article 1353 du code civil;

9° Par l'aveu ou la confession des parties (Code civ., art. 1354);

10° Par le serment (C. civ., art. 1357).

La loi du 15 décembre 1872, dans l'article 25, n'a pas procédé par énumération, comme l'avait fait l'article 109 du code de commerce. Le législateur a préféré s'en rapporter à la prudence du juge consulaire (2).

283. Nous devons d'abord écarter comme moyen de preuve les factures acceptées, moyen spécial aux ventes commerciales. Le texte du § 2 de l'article 25 prouve assez que l'article 109 du code de commerce, dont le gouvernement avait proposé le maintien pur et simple, a été divisé.

(1) DELAMARRE et LEPOITVIN, t. Ier, p. 235, no 131.

(2) Rapport de M. Van Humbeeck, infrà, no 284, in fine.

La partie générale a été modifiée et appliquée aux engagements commerciaux en général, tandis que la disposition relative aux factures acceptées a été limitée aux ventes mobilières. Cette matière étant étrangère à notre sujet, nous n'avons pas à nous en occuper davantage. C'est bien ainsi d'ailleurs qu'il fallait interpréter l'article 109 (1); mais on comprend aisément que la rédaction vicieuse de cet article devait être modifiée.

284. M. Van Humbeeck, parlant au nom de la commission de la chambre des représentants, le prouve dans un rapport qui constitue le meilleur traité pratique sur la preuve des engagements commerciaux. Je le reproduis d'autant plus volontiers que, malgré l'étendue des développements qu'il contient, on n'y trouve pas un mot de trop, et qu'il est assez difficile de se procurer les documents de ce genre ou de les retrouver dans le dédale des collections parlementaires.

D'après le projet, le titre IV, qui contient l'article 25, était le titre VII, article 92, et reproduisait l'article 109 du code de commerce. Après l'avoir rappelé, l'honorable rapporteur fait remarquer que la rédaction de l'article est vicieuse non moins que celle de la rubrique. Il continue :

« Il est vrai que la portée réelle de la loi est universellement constatée et que, par conséquent, l'incorrection reconnue de tous ne peut plus égarer personne. Faudrait-il en conclure qu'une rédaction déclarée mauvaise par tout le monde aurait acquis un droit à l'immutabilité?

Nous ne l'avons pas cru. En voyant la jurisprudence retrouver sous des expressions impropres la pensée du législateur, on a bien pu dire qu'une revision isolée de

(1) Delamarre et LEPOITVIN, t. Ier, p. 206, no 161. Voy. Annales parlementaires, 1871-1872, p. 755.

l'article n'était pas nécessaire; mais ce n'est pas une raison de le respecter dans un travail de revision portant sur le code entier.

« Le système de preuve admis dans les conventions commerciales ne doit plus rester entouré d'aucun doute. C'est trop que deux fois déjà, dans notre matière, la loi ait abdiqué, laissant l'action de la jurisprudence se substituer à la sienne. En effet, lorsque, il y a trois siècles. environ, les pratiques commerciales dérivant de nécessités impérieuses ont fait introduire la preuve testimoniale d'une façon générale, c'était au mépris d'une disposition formelle, dont il a fallu ensuite modifier la teneur; de nos jours, la même preuve se maintient avec la même étendue, en dépit d'un texte conçu en termes restrictifs.

« Cette histoire du principe en discussion mérite d'être brièvement rappelée.

« La maxime Témoins passent lettres, reçue dans l'ancien droit français, fut abandonnée au commencement du seizième siècle. L'ordonnance de Moulins de 1566 consacra la maxime complètement opposée: Lettres passent témoins; elle défendit la preuve testimoniale dans toute cause dont l'intérêt excédait cent livres, à moins qu'il n'y eût commencement de preuve par écrit ou qu'il n'eût été impossible de se procurer une preuve écrite (1).

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Cependant les juges consuls, se considérant comme des amiables compositeurs, suivaient les coutumes commerciales plus soigneusement que les lois et se croyaient dispensés d'appliquer ces dernières dans les prescriptions qui leur paraissaient contraires aux exigences de l'équité. Ce sentiment fit conserver la preuve par témoins dans les

(1) TOULLIER, t. IV, p. 249, et t. V, p. 7 (édit. Meline, Bruxelles, 1848). - Voir, pour la Belgique, l'article 19 de l'édit perpétuel de 1611.

juridictions consulaires, où l'ordonnance de Moulins cessa bientôt d'être appliquée. L'usage recut plus tard la confirmation d'un arrêt du parlement. L'ordonnance de 1667 conserva cet état de choses et vint le régulariser; le § 2 de l'article 2 du titre XV porte que l'on n'entendait rien innover en ce qui s'observait en la justice des juges et consuls des marchands (1).

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L'article 1341 du code civil s'est référé à cette législation. Après avoir posé en principe, pour les matières civiles, la prohibition de la preuve testimoniale, il se termine par la disposition suivante : « Le tout sans préjudice « de ce qui est prescrit dans les lois relatives au commerce, c'est-à-dire dans les lois de commerce EXIsTANTES. On ne pouvait se référer au code de commerce, qui n'existait pas encore à l'époque où le code civil fut décrété.

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Déjà cependant se préparait une revision des anciennes lois sur le commerce. Un projet de code spécial, élaboré par une commission, avait été envoyé aux tribunaux pour y faire leurs observations. Les rédacteurs de ce projet voulaient ramener la juridiction consulaire au droit commun; l'article 69 portait : « Les achats et ventes

s'opèrent verbalement et par écrit ; ils se constatent par « des actes publics, etc..., par la preuve testimoniale, « s'il y a commencement de preuve par écrit. » De nombreuses réclamations surgirent contre cette innovation; les tribunaux de commerce s'en firent les interprètes (2); ils se fondaient sur l'usage consacré par plusieurs siècles, et remontaient aux raisons de cette coutume, qu'un com

(1) NOUGUIER, des Tribunaux de commerce, IIIe partie, chap. II, no 45 à 51. (2) TOULLIER, t. V, p. 107.

mentateur a exposées avec beaucoup de clarté dans les termes suivants :

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Il ne s'agit que de réfléchir à l'exercice du commerce, << aux conventions subites qui s'y font et à la simplicité « des engagements que l'on prend, pour se convaincre de << la nécessité de cette exception: La parole sert de notaire « aux marchands, elle est contrôlée par les arrhes et en- tretenue par la bonne foi.

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Il y a une partie considérable de commerce qui se - fait dans les lieux publics, les marchés, les foires et beaucoup dans les cabarets. Un grand nombre de per- sonnes qui traitent d'affaires dans ces endroits ne savent - souvent ni lire ni écrire, et seraient par conséquent fort embarrassées si elles ne pouvaient faire que des conven<tions par écrit. Il faut donc que, dans le cas d'une dénégation, la preuve testimoniale leur soit permise (1).

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Les rédacteurs du code de 1807, se rendant aux observations des tribunaux, crurent devoir revenir à l'ancien usage et maintenir l'ordonnance de 1667. Mais, si tel a été leur but, ils se sont cependant laissé entraîner à une inexactitude de rédaction, résultant de ce qu'ils ont considéré les achats et les ventes comme le type des transactions commerciales, et se sont crus dispensés ainsi de mentionner les autres engagements. La disposition adoptée pouvait donc laisser subsister du doute sur la possibilité indéfinie de recourir à la preuve testimoniale. Mais une jurisprudence unanime décida bientôt, en thèse générale, que l'article 1341 du code civil ne s'applique pas aux matières de commerce, et qu'en celles-ci la preuve

(1) NICODÈME, Exercice des commerçants, Ire partie, p. 51; DENIZART, Répertoire, vo Consuls, t. Ier, p. 675, confirme ces paroles. - Voy. NoUGUIER, loc. cit.

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