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35. Nous pouvons maintenant tirer parti des principes exposés et développés par des exemples. On peut conclure des décisions ci-dessus que si des personnes qui forment un contrat de société sont induites en erreur par une similitude de nom, par une fausse désignation de l'entreprise, de la nature même de l'industrie, il y aura nullité, ou plutôt absence de consentement, dans le cas où la personne, la nature de l'entreprise ou de l'industrie aura été la cause déterminante.

36. On me propose de fonder une banque avec M. de Rothschild, j'accepte. On m'offre une association pour vendre des tableaux de Van Dyck, j'y souscris; mais, l'association formée, le contrat signé et enregistré, il se trouve qu'ayant cru avoir affaire au plus riche banquier ou spéculer sur la vente de chefs-d'œuvre, j'avais affaire à un homme sans fortune ou de peu de fortune, aux tableaux d'un peintre qui n'est pas l'immortel élève de Rubens. Qui peut douter que cette société ne soit nulle?

37. Je consens à mettre en société les 50,000 francs que Titius m'a laissés par son testament. Or, il n'y a pas de legs en ma faveur : la société est nulle faute de consentement (1).

Je mets en société la maison que mon père m'a laissée et que je crois trouver dans sa succession; vérification faite, cette maison appartenait à un tiers: il n'y a pas de société (2).

Nous formons une association pour exploiter les minerais qui se trouvent dans mon immeuble; mais j'ai été victime d'une erreur, cet immeuble ne contient pas de mine

(1) Arg. TOULLIER, t. III, p. 264, no 41; ARNTZ, t. II, no 18; LAUREnt, t. XV, p. 571.

(2) TOULLIER, ibid., no 168, p. 301; Cass. Fr., 17 mars 1813.

rais l'acte est nul (1). Il est évident, en effet, que ni mes cocontractants ni moi, nous n'aurions songé même à former une société, n'était ce minerai à la présence duquel nous avions cru.

De même l'erreur de plume ou l'erreur de calcul commise dans la rédaction d'un acte de société, à propos de l'évaluation des parts ou des mises, ne pourra donner naissance à aucun lien de droit; elle pourra et devra même entraîner la nullité si ces faux calculs avaient produit une situation apparente qui avait eu pour conséquence de déterminer le consentement des parties ou de l'une d'elles (2). Pour apprécier ce dernier point, il faudra s'inspirer de ce qui a été développé ci-dessus.

38. Mais si la bonne foi réclame l'appui du législateur et du juge, il ne faut pas infirmer légèrement les conventions et ouvrir la porte à un autre genre d'abus. Les gens qui se voient trompés dans leurs espérances se laissent aller facilement à accuser ceux avec qui ils ont contracté de les avoir induits en erreur et à leur faire supporter, autant qu'ils le peuvent, le poids de leurs désastres et la responsabilité de leur imprudence, de leurs illusions perdues.

L'exagération, le charlatanisme même, quelque répréhensibles qu'ils puissent être d'après les règles de la mo

(1) C'est le même exemple que celui de MERLIN, cité plus haut : Répertoire, vo Vente, § 1, art. 1er; voyez une espèce où il y a eu seulement réduction de prix: Cass. Fr., 8 décembre 1869 (Pasic., 1870, 1, 294). -- Cbn. un arrêt du 19 juillet 1869 (D. P. 1870, 1, 82) en matière de dol.

(2) Gand, 21 mars 1866 (Belg. jud., 1867, p. 611); Cassation, 28 avril 1856 (Pasic., 1856, 1, 214); Cass. Fr., 6 avril 1859 (D. P. 1859, 1, 165); DALLOZ, Répertoire, v Jugement, nos 855, 325 et s., 332 et s. Il est permis du moins de conclure de ces exemples que la thèse indiquée au texte ne ferait pas difficulté.

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rale et de la délicatesse, ne peuvent donner ouverture à l'action en nullité.

Ainsi le marchand ou le fabricant qui vante les qualités de sa marchandise pour mieux la vendre ne garantit pas pour cela l'existence de ces qualités vis-à-vis de l'acheteur. Des jactances ne sont pas des promesses (1).

que

On admet généralement aussi l'erreur sur la prospérité d'un commerce cédé, encore que les renseignements émanant du vendeur y aient contribué, ne sauraient constituer une erreur sur la substance ni un dol viciant le contrat (2).

Dans ces deux cas, il s'agit de matières commerciales, de matières sur lesquelles il y a spéculation : l'exagération des défauts comme des qualités doit donc être tolérée. D'ailleurs la vérification est facile (3).

La résiliation du contrat ne peut résulter que de l'erreur qui tombe sur la substance même de la chose objet du contrat, et non d'un désappointement sur les résultats espérés ou promis de cette chose. Nous l'avons dit souvent et nous trouvons, dans la jurisprudence, une nouvelle. application de cet axiome fondamental, précisément en matière de société.

39. Il s'agissait d'une société en nom collectif formée pour l'exploitation d'une poudrière; les chutes d'eau qui devaient servir de moteur se trouvèrent insuffisantes, et l'un des associés demandait la nullité de la société pour erreur sur la substance de la chose, ce qui ne fut pas ad

(1) Gand, 15 décembre 1851 (Pasic., 1852, 2, 60). (2) Bruxelles, 18 avril 1864 (Pasic., 1867, 2, 99).

(3) LAROMBIÈRE, t. I, p. 40; Bruxelles, 7 juillet 1877 (Pasic., 1878, 2, 203; Belg. jud., 1877, p. 1398).

mis, et avec raison (1). Les accusations cependant étaient graves. Le demandeur posait en fait :

Que l'adversaire avait affirmé que les terrains dont il s'agissait renfermaient deux superbes chutes d'eau, l'une de vingt-six pieds et l'autre de quarante-deux pieds; qu'elles avaient une force de huit à dix chevaux;

Qu'il avait remis au demandeur un devis des dépenses et un aperçu des bénéfices probables; le devis s'élevant à 12,000 francs et le bénéfice à 80,000 francs par an;

Que le capital de la société ne devait pas s'élever à plus de 25,000 francs.

Le rejet de cette demande en nullité provient surtout de cette considération que la vérification de tous ces faits était facile. Une entreprise industrielle se discute; elle exige un examen approfondi, et c'est aux contractants de veiller à leurs intérêts (2).

2. De la violence.

40. Ce que nous venons d'exposer abrégera singulièrement ce que nous avons à dire au sujet de la violence et du dol; ici nous nous occupons surtout des moyens employés. Les moyens violents, quelque coupables qu'ils soient, ne portent plus aucune atteinte à l'obligation, du moment où, par le fait même de la victime des violences, il est à présumer qu'elle aurait contracté même sans l'emploi de la force. C'est ce que porte l'article 1115, en disant que le contrat ne peut être attaqué pour cause de

(1) Bruxelles, 1er août 1865 (Pasic., 1866, 2, 205).

(2) A plus forte raison l'erreur sur les motifs ne peut elle annuler le consentement: Cass. Fr., 15 février 1870 (D. P. 1871, 1, 165), affaire Erlanger contre le Comptoir d'escompte; Cass. Fr., 24 juin 1873 (D. P., 1874, 1, 17), et la note de l'arrêtiste; LAURENT, t. XV, p. 572 à 574.

violence si, depuis que la violence a cessé, ce contrat a été approuvé soit expressément, soit tacitement, soit en laissant passer le temps de la restitution fixé par la loi. Il est évident que les articles 1304 et 1338 du code civil combinés devaient dicter l'article 1115.

Il ne peut être question, on le comprend assez, de la violence physique, par exemple, de l'extorsion de signature en conduisant matériellement la main de la victime. On devrait reconnaître, dans ce cas, qu'il n'y a pas de signature véritable et partant de consentement (voy. code pén., art. 470).

Peu importe que la violence émane d'un tiers (art. 1111), ou soit commise sur des tiers qui sont comme d'autres nous-mêmes (art. 1113); mais il faut qu'elle soit de nature à faire impression sur une personne raisonnable et qu'il s'agisse d'un mal considérable et présent (art. 1112 et 1114).

41. Comme pour l'erreur, il n'y aura nullité que si la violence a eu pour conséquence de faire contracter un engagement que l'on aurait repoussé si l'on avait été libre. Il faut aussi que la violence ait eu pour but le contrat.

Ainsi un commerçant retenu en prison pour dettes souscrit à un contrat de société; il est mis en liberté le lendemain. Cette circonstance ne suffit pas pour entraîner l'annulation du contrat, d'abord parce qu'il n'est pas prouvé que la volonté ait été forcée et ensuite parce que l'acte du créancier, quelque rigoureux qu'il soit, est légitime ou légal si l'on veut (1). Il en serait de même de la menace d'une peine prononcée par la loi.

(1) Douai, 11 juillet 1835 (DALLOz, Répertoire, vo Obligations, no 182, 4o; SIREY, 1836, 2, 224); MERLIN, Quest., vo Crainte, § 2; POTHIER, Traité des obligations, no 26.

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