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42. Nous venons de dire qu'il faut que la violence ait pour but le contrat même dont on demande la nullité. Il ne faudrait pas conclure des termes de l'article 1111 que la violence d'un tiers ait toujours l'effet indiqué par cet article. Si, par exemple, j'ai été l'objet de violences coupables, si je suis tombé dans un piège, si j'ai été jeté dans un fleuve par une main criminelle et que je promette une somme d'argent à un passant pour venir à mon secours, cet engagement sera valable. La cause en est licite et parfaitement honorable; à moins qu'il ne soit établi que ce passant n'était pas là par hasard, mais qu'il agissait de concert avec les auteurs de la violence.

C'est une nullité, du reste, qui trouvera peu d'application au contrat de société.

Nous trouverons plus ample matière à réflexions dans le § suivant.

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43. Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties (voir infrà, no 49) sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté (art. 1116).

Le code ne reproduit pas ici les termes de l'article 1110 parce que le principe de l'article 1116 n'a pas la même portée : il est évident toutefois que le dol qui ne porterait que sur des qualités accidentelles de la chose ne vicierait pas le consentement (1). L'acte serait blámable, mais le contractant qui n'aurait pas été trompé sur les qualités essentielles ne serait pas recevable à se plaindre. Seule

(1) Cass. Fr., 1er décembre 1869 et 14 juillet 1862 (D. P., 1870, 1, 200; 1862, 1, 429).

ment le fait du dol doit rendre le juge moins indulgent qu'il ne serait tenté de l'être en cas d'erreur souvent innocente (1).

La connexité entre ces deux causes de nullité est évidente, car la conséquence des manoeuvres frauduleuses est nécessairement de causer une erreur sans laquelle on n'aurait pas contracté.

44. Il serait impossible de donner une définition rigoureuse du dol et surtout une définition complète. Qui pourrait se représenter et énumérer les mille détours de la fraude, les tromperies inextricables que produit la soif du gain ou la misère qui lutte contre des événements plus forts que la volonté?

Pothier toutefois l'a tenté (2) :

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:

« On appelle dol toute espèce d'artifice dont quelqu'un se sert pour en tromper un autre Labeo definit dolum omnem calliditatem, fallaciam, machinationem ad circumveniendum, fallendum, decipiendum alterum adhibitam (3).

La définition de Pothier a le mérite d'être plus courte et tout aussi complète que celle du jurisconsulte romain : l'artifice pour tromper. Il faut ensuite que le but ait été atteint et que cet autre qui est trompé ait été ainsi amené à contracter une obligation qu'il aurait rejetée sans cette tromperie.

45. Mais tout artifice est-il condamnable? Toute ma

(1) ZACHARIÆ me paraît aller un peu loin (t. Ier, p. 383.note 8),quand il autorise l'action en nullité pour le dol produisant l'erreur sur les qualités accidentelles. Voy. DALLOZ, Répertoire, v° Obligations, no 205, et les arrêts, note précédente.

(2) POTHIER, Traité des obligations, 1re partie, chapitre Ier, § 111, no 28, p. 20; ARNTZ, t. II, nos 22 à 26; LAURENT, t. XV, p. 598.

(3) L. 1, § 2, D., de Dolo malo.

nœuvre qui aura eu cette conséquence indiquée par l'article 1116 sera-t-elle une cause de nullité? N'y a-t-il pas la ruse permise ou du moins non réprimée par la loi? Celle-ci ne peut tout prévoir ni tout empêcher. Quelle que soit la volonté qu'elle exprime, quel que soit le soin dont elle entoure les intérêts loyaux et honnêtes, les limites de son empire sont tracées par la force des choses. En voulant trop bien faire on dépasse le but, et en voulant donner une protection énergique à la bonne foi on infirme les contrats. Il ne sera jamais possible de prévenir toutes les naïvetés, toutes les imprudences. Combien d'hommes font euxmêmes la moité des frais de la tromperie, par les écarts de leur imagination qui exagère, embellit, enrichit tout, prête les qualités les plus brillantes aux entrepreneurs de succès les moins dignes de confiance!

46. Dans le for extérieur, dit Pothier, une partie ne serait pas écoutée à se plaindre de ces légères atteintes que celui avec qui elle a contracté aurait données à la bonne foi; autrement, il y aurait un trop grand nombre de conventions qui seraient dans le cas de la rescision, ce qui donnerait lieu à trop de procès et causerait un dérangement dans le commerce. Il n'y a que ce qui blesse ouvertement la bonne foi qui soit, dans ce for, regardé comme un vrai dol, suffisant pour donner lieu à la rescision du contrat... (1).

"

47. Il faudra tenir compte aussi de l'âge, du sexe, de la profession des parties contractantes, et de toutes les circonstances qui ont pu permettre une vérification personnelle.

Delangle nous paraît avoir nettement indiqué la limite

(1) POTHIER, loc. cit., no 30; LAURENT, t. XV, p. 604; ARNTZ, t. II, no. 22

qui sépare le dol prévu par la loi et le dol qui sort des atteintes de l'article 1109 du code civil:

« Un exemple mettra cette doctrine en lumière (1).

« Le propriétaire d'un terrain renfermant une mine de houille veut attirer des associés. Il vante l'heureuse situation de l'immeuble, ses richesses, la facilité de son exploitation, et il consigne dans des prospectus jetés au public l'exagération de ses espérances. La société se forme, mais les illusions qui ont présidé à sa naissance sont bientôt dissipées. L'indigence des filons rend l'exploitation stérile; le capital s'épuise en recherches et, après quelques mois d'existence, la société tombe en ruine. L'actionnaire séduit par les promesses du prospectus et qui, partageant les illusions vraies ou feintes du fondateur de la société, a cru faire un placement solide, pourra-t-il se plaindre et, sur ce motif que son consentement a été surpris par dol, réclamer la restitution de sa mise?

Il faut distinguer ou le prospectus se borne à des généralités et à des exagérations;

< Ou ces exagérations sont accompagnées de documents préparés à dessein et propres à leur donner de la consistance;

Ou enfin, au lieu de s'en tenir à de vagues assertions, le prospectus garantit aux associés futurs la perception d'un produit dont il indique par avance la nature et la quotité.

Dans les deux derniers cas seulement, il y a dol.

« Du moment où l'énonciation et la garantie des produits sont une des conditions du contrat, ou même dès qu'il résulte du prospectus que la mine a été explorée et que des opérations sincèrement exécutées en ont constaté

(1) DELANGLE, Contrat de société, chap. III, no 45.

la puissance, les actionnaires ne sont plus obligés à des vérifications personnelles. On ne peut pas dire, dans cette hypothèse, qu'ils suivent la foi du fondateur de cette société. Non. La convention a pour base des calculs et des promesses positives; leur consentement est déterminé par des faits à la vérité desquels ils doivent croire; on ne peut donc pas leur refuser le droit de rompre le contrat qui les lie, dès qu'il est démontré que les garanties, sans lesquelles évidemment ils n'auraient pas contracté, n'ont jamais existé.

Autant il est raisonnable et juste de repousser la réclamation de l'imprudent qui, sur la foi de louanges naturellement suspectes, sans examen, sans vérification, a jeté son argent dans une société sans avenir, victime volontaire de sa cupidité ou de sa folie, autant il convient d'admettre la plainte de l'associé qui prouve, par la comparaison des promesses et des résultats, que, sans force majeure ou cas fortuits, par le vice propre de la chose, l'exploitation dont on a garanti les produits est stérile et que l'avenir ne lui réserve pas de chances meilleures.

La distinction si sagement faite par Delangle se retrouve dans l'espèce suivante qui présente une nuance fort délicate :

Dans le cas de vente d'un cheval ayant des instincts dangereux, la simple réticence du vendeur serait insuffisante pour constituer un dol (code civ., art. 1116).

Mais le fait du vendeur, qui avait eu l'animal dans ses écuries à différentes reprises et l'avait déjà vendu deux fois, d'avoir dissimulé avec soin à son acheteur l'existence de ce vice, constitue une manoeuvre dolosive, susceptible d'entraîner la nullité du marché (1).

(1) Cass. Fr., 17 février 1874 (D. P., 1874, 1, 193); Liége, 29 juillet 1876 (Belg. jud., 1877, p. 1386).

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