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On le voit assez, la question de fait ne présentera que trop souvent matière à controverse; mais, lorsque la mauvaise foi sera prouvée, le juge admettra facilement la pertinence des faits.

48. On peut argumenter de tout ce qui a été écrit depuis la loi Aquilia sur le dol en matière de vente les principes sont les mêmes, les effets de la tromperie et des machinations sont également la nullité (1). Par exemple, le banquier dont nous parle Cicéron, ayant transformé, en apparence, une campagne aride et stérile en un jardin. délicieux, une côte déserte en une mer abondante et poissonneuse capable de fournir toute la ville de Syracuse (2), commettait un dol qui amènerait la nullité d'une société fondée sur de pareils éléments. Il y a là plus que de l'exagération, plus que du charlatanisme, il y a la création imaginaire de toute une source de richesses qui ne peuvent exister. Depuis que le collègue et l'ami de Cicéron a dicté ses formules contre le dol, on ne peut plus maintenir de pareils contrats.

49. On saisit assez tout ce que ce sujet a d'actuel. Toute la loi nouvelle sur les sociétés a été inspirée par des idées analogues à celles que le consul Aquilius a fait prévaloir découvrir la fraude. Il est donc nécessaire de faire remarquer qu'on ne peut pas ici, comme dans le cas de violence, invoquer le dol commis par un tiers; il faut que le dol soit personnel à celui qui a contracté ou du moins qu'il y ait participé (3). Mais on conçoit que cette complicité sera facilement présumée, malgré l'article 1116: par exemple, si le contractant en a eu connaissance et

(1) ULPIEN, L. 39, D., de Dolo malo; POTHIER, Contrat de vente, part. II, chap. II; part. III, sect. II.

(2) CICERO, de Officiis, lib. III, c. IV.

(3) DURANTON, t. VI, p. 58; PоTHIER, loc. cit., no 32; ZACHARIÆ, § 343.

n'en a pas prévenu l'autre partie ou si l'auteur des manœuvres était son mandataire. Ce dernier point mérite à peine d'être signalé (1).

50. L'article 1116 dit assez inutilement que le dol ne se présume pas; c'est aussi le principe de l'article 2268; il va de soi que la bonne foi sera toujours présumée et qu'il faut prouver le dol comme on doit prouver toute allégation: Actori incumbit probatio; reus excipiendo fit actor (2).

51. Mais revenons à l'objet principal de notre étude. Nous avons dit plus haut (no 47) qu'il faut tenir compte des moyens, des ressources que chacun des contractants peut avoir pour déjouer la fraude et vérifier par lui-même. Supposons un homme du monde, une veuve placée inopinément à la tête d'une grande fortune; ne seront-ils pas plus facilement écoutés que des personnes rompues aux affaires? Au contraire, un marchand a vendu des marchandises à un acheteur de la même profession; il ne sera pas admis sans beaucoup de difficulté que l'acheteur ou l'associé n'ait pas été au courant des ruses du métier.

52. En parlant de l'erreur, nous avons cité un arrêt (3) repoussant une demande en nullité dans un cas qui présente beaucoup d'analogie avec l'exemple emprunté aux Offices de Cicéron; mais la cour trouva, comme le premier juge, que la vérification était facile. Les Romains, du reste, distinguaient avec beaucoup de raison entre l'exagération, le charlatanisme, d'un côté, et la promesse

(1) Duranton, loc. cit., p. 59 et 64; L. 15, D., de Dolo malo (IV, III); DALLOZ, Répertoire, vo Obligations, nos 168, 192, 215, 230; Poitiers, 5 février 1812 (DALLOZ, ibid., no 212).

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(2) Il faut même des faits graves et précis ayant le caractère de mancuvres frauduleuses: Liége, 5 avril 1862 (Pasic., 1863, 2, 42). On peut cependant, en matière de fraude, admettre certaines présomptions: Liége, 8 mars 1862 (Pasic., 1863, 2, 355).

(3) Voy. no 39.

formelle, d'un autre: Ea autem sola dicta sive promissa admittenda sunt, quæcumque sic dicuntur ut præstentur, non ut JACTENTUR (1).

La profession, disions-nous, doit être prise en considération. A M. Aguado se plaignant de ce qu'on lui eût caché la véritable situation du Creuzot, en diminuant les dettes et en exagérant les bénéfices, la cour de Paris a répondu à peu près ceci (2): Jura vigilantibus...

La cour de cassation de France a eu à se prononcer dans une espèce intéressante pour notre sujet : il s'agissait de souscription à des actions industrielles, et de promesses exagérées par les prospectus (3).

53. D'un autre côté, la nullité ne peut être prononcée au préjudice de tiers de bonne foi qui ont dû croire le contrat valable. Ainsi la publicité donnée à la constitution d'une société, à la souscription et au versement du capital donne aux créanciers un droit sur ce qu'ils ont dû considérer comme leur gage. En conséquence, le dol et ia fraude employés à l'égard de l'un des associés lui donnent bien action contre ceux avec qui il a formé le contrat de société, mais non contre les tiers ou au préjudice de leurs droits acquis. En effet, les tiers tiennent leurs droits d'euxmêmes et n'agissent pas comme subrogês au gérant. Ils ne sont donc pas passibles des exceptions personnelles à celui-ci. C'est ce que la cour de Bruxelles a jugé, conformément d'ailleurs à la jurisprudence française (4).

(1) L. 19, § 3, D., de Ed. edict.

(2) Paris, 5 juillet 1835 (DELANGLE, nos 47 et 48); Gand, 15 décembre 1851 (Pasic., 1852, 2, 60).

(3) Cass. Fr., 14 juillet 1862 (D. P., 1862, 1, 429) et aussi 1er décembre 1869 (D. P., 1870, 1, 200).

(4) Bruxelles, 10 avril 1869 (Pasic., 1869, 2, 262); Paris, 30 juillet 1859 (DALLOZ, Rec. pér., 1859, 2, 165, et la note).

54. Nous reviendrons sur ce sujet dans notre commentaire de l'article 4.

NATURE DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ.

55. Voilà donc à quelles conditions il y a consentement, c'est-à-dire le principal, et l'on pourrait même dire l'élément unique de toute obligation.

Revenons à la définition de l'article 1832.

La société est un contrat, donc une convention par laquelle on s'oblige (art. 1101) en d'autres termes, un concours de volontés sur une même chose.

56. Ce principe simple et, au premier abord, superflu sert à résoudre beaucoup de difficultés.

En effet, s'il n'y a pas de société sans contrat, toute communauté existant, ou contre la volonté ou à l'insu des parties, reste en dehors de toutes les règles de la société. Ainsi des héritiers se trouvent, par la force des choses, copropriétaires d'un même bien, d'un établissement industriel, d'un commerce qu'il faut bien continuer jusqu'au partage à peine d'en voir disparaître la valeur; des créanciers sont en communauté par suite de la faillite de leur débiteur; des hommes menacés, soit par une attaque à main armée, soit par un incendie, unissent leurs efforts pour conjurer le danger : il y a là des intérêts communs, des actes émanant de chacune des parties intéressées, produisant des obligations communes envers les tiers et des obligations mutuelles entre les parties; mais il n'y a pas de société, parce qu'il n'y a pas contrat, parce qu'il n'y a pas de concours de volontés sur un même point, à savoir : la formation d'une société (1).

(1) PARDESSUS, no 969; DELVINCOURT, Inst. de dr. comm., p. 14; ZACHARIÆ, t. II, p. 23, no 4, § 377; TROPLONG, du Contrat de société, no 194; DELANGLE, nos 41 et 42.

On ne peut donc être associé malgré soi ou sans le savoir. C'est ce qu'exprime nettement Treilhard dans l'exposé des motifs (1). Il importe cependant de remarquer ici que le consentement n'est nécessaire qu'en ce qui concerne les caractères essentiels tracés par l'article 1832, alors même que les contractants ignoreraient qu'en droit le nom de société appartînt à leur contrat (voy. infrà, no 129).

57. Ajoutons que si, d'un côté, le consentement est nécessaire, d'un autre côté, il suffit à lui seul, comme nous l'avons dit, suprà, no 5, pour la perfection du contrat, sans qu'il y ait, comme pour le dépôt (code civ., art. 1919), le prêt (code civ., art. 1875, 1892), le gage (code civ., art. 2076), aucun acte d'exécution. Nous verrons plus tard comment l'écriture est requise dans les sociétés commerciales.

58. La première et la principale différence entre la communauté et la société provient de ce que celle-là est souvent forcée et la seconde toujours volontaire.

59. Ce n'est pas que la communauté soit nécessairement involontaire, et c'est évidemment à tort que Pothier l'affirme (2). Sans doute la communauté sera le plus souvent le fruit d'un quasi-contrat; mais comment prétendre qu'elle ne puisse être le fruit d'un accord réunissant les qualités d'un contrat, alors que tout ce qui n'est pas défendu est permis?

Et cette communauté peut être prolongée de commun accord entre les parties. Le code civil (art. 815), tout en proclamant le droit pour le communiste de sortir de l'indivision, permet une convention par laquelle on la rend obligatoire pour cinq ans (3).

(1) FENET, t. XIV, p. 393; LOCRÉ, t. VII, p. 241.

(2) POTHIER, Societe, nos 2 et 3.

(3) ARNTZ, t. II, no 1258; LAURENT, t. XXVI, no 135; AUBRY et RAU, t. IV, § 377.

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