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Cujas, qui invoque assez naïvement Sénèque, conclut des expressions jure societatis que Papinien n'a fait allusion qu'à une action personnelle d'associé à associé. Je réponds :

De toute manière, c'est toujours jure societatis que l'engagement sera applicable à l'associé qui n'a pas contracté. L'erreur provient précisément de ce que l'on veut considérer la position des deux associés comme s'ils étaient deux étrangers, alors cependant qu'on connaît assez le respect des Romains pour le lien qui unit les membres d'une même société (1).

Et s'il s'agissait uniquement du droit de l'associé contre son associé, pourquoi Papinien dirait-il : Per socium ære alieno? L'argent prêté par un tiers! Il aurait dit évidemment l'argent versé par l'associé. Le tiers n'aurait pas à intervenir dans ce texte ou du moins on ne pourrait y faire intervenir son argent; ce serait, au contraire, l'argent de l'associé prêté au tiers. Per socium ære alieno! N'est-ce pas obligé par l'argent d'autrui et par l'intermédiaire de l'associé emprunteur (2).

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Du reste, ce qui rend l'opinion de Cujas non recevable dans cette discussion, c'est qu'il fait exception pour les argentiers argentarios socios », à cause de la solidarité qui les unit propter utilitatem publicam. » Or, en matière commerciale et spécialement pour les sociétés en nom collectif, c'est aussi la solidarité qui existe : la raison de décider serait donc la même.

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Ce n'est pas seulement des matières commerciales que parlent Zachariæ et Arntz que nous venons de citer.

(1) Suprà, no 126.

(2) Æs alienum est précisément l'expression qu'emploie Cicéron pour signifier l'argent emprunté à un tiers par opposition à : æs meum, l'argent que je dois.

Consultons, sur le droit romain, un auteur spécial (1). Nous lui demanderons quel est le caractère de l'action de in rem verso et s'il est exact de dire, comme Troplong l'affirme, qu'elle ne s'applique qu'à l'action du tiers contre le père de famille du chef des engagements pris par son fils ou par son esclave.

En ce qui concerne la question qui nous occupe, nous lisons ce qui suit:

« Enfin, comme dernière ressource, le tiers pourra employer l'actio de in rem verso contre les autres associés, jusqu'à concurrence de ce dont ils ont profité par suite de l'acte posé par l'associé contractant (2).

Je n'examinerai pas la discussion des textes de Voet qui nous conduirait trop loin; mais je crois que Merlin les avait bien compris, à moins qu'on ne veuille prétendre que ces textes n'ont pas trait à notre question. Bien certainement le passage invoqué par Troplong contient un principe général, à savoir que l'associé qui contracte en son nom privé n'oblige ses coassociés ni solidairement, ni d'aucune autre manière; la constatation de cette vérité élémentaire ne valait pas la peine qu'elle a coûtée à nos

auteurs.

Quant à l'actio de in rem verso, c'est évidemment par erreur que Troplong la considère comme restreinte aux actes de l'esclave et du fils de famille; c'est par erreur aussi qu'il avance que cette action était fondée sur un mandat laissant apercevoir le père de famille au delà de ses représentants.

L'actio de in rem verso, comme la plupart des actions

(1) MAYNZ, § 312 B et § 308.

(2) Fr. 10, § 4. Fr. 13, D., de in rem verso, 15, 3. Arg. fr. 82, D., hoc tit. : Jure societatis... "

et surtout des actions prétoriennes, a eu des commencements modestes et s'est développée avec le temps.

« Le principe de cette action, dit Maynz, d'abord restreint au père de famille et aux personnes sous sa puissance, a été généralisée par la suite et appliquée à toute in rem versio, même entre personnes qui ne sont unies par aucun lien de puissance, liberæ personæ. »

Si le Digeste ne le dit qu'implicitement par l'organe de Papinien (1), le Code le dit en propres termes (2).

J'ai voulu préciser ces citations pour prouver que le système de Troplong manque de base solide. Au fond, il importe assez peu de savoir ce que l'on a fait du temps de Dioclétien, alors que l'actio de in rem verso se retrouve, à chaque pas, dans notre droit moderne et qu'un nombre incalculable d'arrêts reposent uniquement sur ce principe que personne ne peut s'enrichir aux dépens d'autrui : Nemo ex damno alterius locupletior fieri debet.

C'est la règle qui a dicté les articles 1241, 1312, 1864, 1926 du code civil et l'article 114 du code de commerce (devenu l'article 3 de la loi du 20 mai 1872).

Si l'on me demande comment l'on peut être obligé par le fait d'un tiers qui a stipulé en son propre et privé nom, je répondrai que la comparaison manque d'exactitude; on ne peut assimiler des associés à des personnes qui n'ont entre elles aucun lien. Sans doute si Pierre emprunte de l'argent à Jacques, il n'y aura de contrat qu'entre ces deux parties le prêteur et l'emprunteur. Si ultérieurement Pierre donne ou prête cet argent à François; si celui-ci l'emploie à son usage et en tire un grand profit..., on ne peut imaginer une action directe de Jacques, le prêteur,

(1) L. 31, 1. III, t. XV.

(2) L. 7, § 1, C., 1. IV, t. XXVI.

contre François. Mais si celui-ci était l'associé de Pierre, si cet argent a servi à la société qui établit une chose commune entre eux, la position sera bien différente : jure societatis. La probabilité est que cet argent a, en réalité, été toujours destiné à la société et la certitude est qu'il lui a servi; qu'il a servi, non pas à un étranger, mais à Pierre et à ceux dont il a accepté la solidarité.

Nous retombons ici dans le mandat présumé qui a fait introduire, à Rome, tant d'actions prétoriennes.

Chaque fois que celui qui a contracté avec un tiers sera, à l'égard de celui qui a profité du contrat, dans un rapport de mandataire à mandant, de domestique à maître, d'épouse à époux, d'associé à associé, on présumera le mandat quand le fait sera patent.

Merlin démontre bien clairement que telle était l'interprétation constante de l'ordonnance de 1673.

La société sera donc tenue à concurrence de ce qui aura tourné à son profit, mais pas au delà.

Ce sera au tiers qui réclame à prouver que sa réclamation est fondée. La preuve, il est vrai, présentera souvent de grandes difficultés et les efforts des demandeurs seront souvent stériles.

La plupart des auteurs qui accordent aux tiers l'actio de in rem verso déclarent que les tiers ne pourront réclamer de chacun des associés que sa part individuelle parce qu'il ne s'est enrichi que de cela; c'est très vrai, en matière civile. Dans la société en nom collectif, au contraire, la solidarité des débiteurs entraîne le droit pour le demandeur de réclamer la totalité de la dette de chacun d'eux. Il est vrai que chacun ne profite que pour sa part, mais l'effet de la solidarité est de forcer chacun des débiteurs à répondre pour le tout, c'est-à-dire pour tout le monde, sauf son recours contre ses associés, chacun pour leur

part et portion, parce que la solidarité n'existe que dans l'intérêt des tiers (1).

383. Encore bien que le gérant ait excédé les bornes de son mandat, la ratification couvre les vices de ses contrats. Peu importe, au fond, que le mandant ait donné un pouvoir, qu'il ait voulu avant que le mandataire ait agi; sa volonté, à quelque époque qu'elle se produise, le rend personnellement obligé par les engagements de son représentant.

Mais la théorie est des plus compliquées; le code ne veut pas de l'approbation aveugle.

Deux principes dominent en ce qui concerne la ratification d'abord la renonciation ne se présume pas (2).

Il a été jugé que la renonciation à un acte d'appel ne se présume pas (3).

On ne peut induire d'une erreur de droit ou de simples présomptions, ni une donation, ni une renonciation à des droits.

Spécialement, le propriétaire d'un capital, qui se qualifie, dans quelques actes, de simple usufruitier, n'est pas censé renoncer à la nue propriété en faveur de celui qui a pris la qualité de nu propriétaire (4).

Une renonciation à des droits doit, en général, être expresse el certaine (5).

Quant à la renonciation tacite, il faut aussi et surtout

(1) NAMUR, t. II, no 873.

(2) ZACHARIÆ, t. Ier, p. 354, § 324, note 11; MERLIN, Répertoire, vo Renonciation, § 3, no 2; Nemo res suas jactare præsumitur. Voy. art. 734, 1273, 1286. Arg. Liège, 27 décembre 1858 (Pasic., 1859, p. 122); Bruxelles, 14 janvier 1859 (Pasic., 1860, p. 302); Gand, 13 juin 1856 (Pasic., 1856, p. 385); Liège, 15 avril 1848 (Pasic., 1848, p. 210).

(3) Bruxelles, 18 mai 1850 (Pasic., 1850, 2, 329).
(4) Bruxelles, 8 juillet 1838 (Pasic., 1838, p. 201).
(5) Bruxelles, 29 juin 1849 (Pasic., 1851, p. 93).

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