à faire cesser toute controverse, par les paroles mêmes du législateur. Il se retourne donc contre nos adversaires. 76. Dans nos discussions parlementaires, on n'a pas émis de doute sur ce point. C'est évidemment aux cinq sociétés commerciales énumérées dans l'article 2 de la loi que le législateur a voulu limiter la personnification civile. 77. Nous pouvons donc répondre aux articles 1845 et suivants par les articles 529 du code civil, article 69, n° 6, du code de procédure, et par l'article 2 de notre nouvelle loi sur les sociétés. 78. A la différence des sociétés commerciales, dit Zachariæ (1), les sociétés civiles ne constituent pas des personnes morales. La propriété des objets qui font partie du fonds commun ne peut donc résider que sur la tête des associés qui sont chacun individuellement copropriétaires de ces objets dans la proportion de leurs mises. » Sans doute le tiers créancier ne peut pas provoquer la dissolution de la société, parce qu'il ne peut qu'exercer les droits de son débiteur (art. 1166 du code civ.), mais on ne peut l'empêcher de saisir la part indivise de son débiteur dans le fonds social. 79. M. Demolombe dit également que les sociétés civiles ne constituent pas des personnes morales distinctes de la personne de chacun des associés (2). (Comp. art. 1836, 1840, 1864, 1873). " 80. Quant à l'argument tiré de la faculté que l'on donne généreusement aux particuliers de créer des personnes civiles, il mérite un examen tout spécial. (1) ZACHARIÆ, édit. d'Aubry et Rau, t. II, p. 28, § 381 bis. Où Troplong a-t-il vu (1) la moindre trace de ce droit dans nos lois? L'homme est né libre et investi de droits qu'il tient de la nature; le droit positif les confirme et les développe; il peut s'associer, réunir ses efforts ou sa fortune à d'autres efforts et à d'autres fortunes. Le droit a pour sujet la personne ou les personnes qui disposent librement d'ellesmêmes. Séparées ou réunies, elles portent la responsabilité de leurs actes. Leur honneur comme leur intérêt pécuniaire, leur avenir, forment une garantie sociale. Celui qui manque à la foi jurée, celui qui ne demande pas à un travail honnête le moyen d'accomplir ses engagements sera puni par le mépris public avant même de l'être par la ruine. Il aura à porter toute sa vie le fardeau de sa honte. Il voit, il marche, il pense, il sent, il souffre, il est homme, il a des droits. Il les tient du droit naturel avant de les tenir de la société. Mais créer fictivement un sujet du droit et l'investir arbitrairement des droits de l'homme; lui donner le privilège exorbitant de ne point satisfaire à ses engagements au delà d'une limite de fantaisie; faire pour lui, sous le nom de statuts, un code spécial que les hommes devront. respecter; lui donner des droits sans avoir comme compensation la personnalité vivante et consciente; créer une personnalité à la fois vivante et morte; vivante pour agir, acquérir, obliger les tiers, mais morte pour la responsabilité; ce ne sera jamais le fait d'un particulier. Ce manteau qui peut abriter tous les appétits, toutes les tromperies, pourra-t-il être offert à tous ceux qui veulent parier pour gagner, et disparaître en cas de perte? (1) TROPLONG, no 69; DUVERGIER, no 382; PUFENDORF, liv. I, chap. XII et XIII. Ce dernier auteur se borne à faire la distinction des sociétés en publiques et privées. 81. La création d'une personne morale sera toujours l'exercice de la puissance souveraine. Quand le législateur veut déroger à ces principes fondamentaux, il s'en explique et il limite le droit exorbitant qu'il accorde aux particuliers, en indiquant les garanties qu'il prescrit à peine de nullité. La nullité indique que la garantie est conditionnelle : c'est ce que nous verrons en étudiant la législation particulière des sociétés commerciales. Mais exercer le droit sans garanties et sans limites, ce serait introduire l'anarchie au sein de la civilisation, la féodalité au milieu du XIXe siècle. On ne peut pas plus permettre la création d'une personne civile à une réunion, à une association qu'à un homme individuellement les fictions légales sont nécessairement et exclusivement du domaine de la loi. 82. Il est bien vrai que le droit romain nous offre une période pendant laquelle le droit de fondation fut mis au rang des droits civils dont jouissent les particuliers. C'était appliquer les règles du droit privé à une matière qui est toute de droit public (1). On sait quelles furent les idées qui dictèrent de pareils privilèges et quelles en furent les conséquences; le moyen âge admettait aussi les créations d'États dans l'État; mais la révolution de 1789 changea complètement la base de la souveraineté nationale et l'exercice du pouvoir (2). 83. En étendant les libertés publiques, le législateur a (1) TIELEMANS, Répertoire, t. VII, p. 370; JEAN VAN DAMME, la Mainmorte et la charité, p. 165; ORTS, de l'Incapacité civile des corporations religieuses, p. 35, no 42. (2) Les jurisconsultes d'ailleurs, POTHIER, DOMAT, LOISEL, DESPEISSES, attestent que jamais le droit exorbitant accordé dans des matières essentiellement politiques n'a été étendu aux sociétés proprement dites. Voy. les arrêts cités plus bas; DOMAT, Lois civiles, liv. Ier, tit. VIII, sect. I, no 1. soin de maintenir les particuliers dans la sphère des intérêts privés et des droits privés. Ainsi l'article 20 de la Constitution consacre d'une manière absolue le droit d'association : Art. 20. Les Belges ont le droit de s'associer. Ce droit ne peut être soumis à aucune mesure préventive. Cet article accordant ou plutôt reconnaissant aux citoyens le droit de se réunir et de s'associer introduisait dans nos provinces un droit nouveau que ni le droit romain (1), ni la législation des Pays-Bas autrichiens (2), ni celle du pays de Liége (3), ni la législation française (4), ni la législation hollandaise (5) n'autorisaient. Néanmoins cette liberté, qu'il n'eût pas été nécessaire de proclamer sans les restrictions antérieures, ne constitue que la reconnaissance et la proclamation d'un principe; elle lève un obstacle législatif, mais elle n'apporte aucun privilège. L'association n'est qu'une simple réunion différant essentiellement de la société civile ou de la société commerciale. 84. C'est ce que le gouvernement s'est empressé de bien déterminer, dès le 16 avril 1831 (Circ. du min. de l'intér., n° 1617), dans les termes suivants : « L'article 20 de la Constitution, qui reconnaît aux Belges le droit de s'associer, ne donne point aux associations qui seront formées en vertu de cette disposition dans un but religieux, industriel, etc., le droit d'acquérir et de transférer des biens comme personnes civiles; elle ne (1) L. 1, D., Quod cuj. un.; L. 15, C. de Ep. (2) Placard du 15 septembre 1753, art. 2; cpr. DOMAT, Lois civiles, t. II, p. 10, chap. XIV. (3) SOHET, Instit. de Droit, L. V, t. VIII, nos 19-20. (4) Code pénal de 1810, art. 291, 292, 293 et 294. (5) TIELEMANS, Répertoire, t. II, p. 393. leur confère aucun privilège et laisse entière la législation préexistante à cet égard. Quant aux associations précédemment reconnues comme personnes civiles, elles restent soumises aux obligations que leur imposent les lois et règlements qui les instituent elles ne peuvent scinder les conditions de leur existence en cette qualité. L'arrêté du gouvernement provisoire, en date du 16 octobre dernier (Bulletin, no 12), ne contient aucune disposition qui confère de plein droit aux associations les droits réservés par la loi aux personnes civiles, ou dispense des obligations qui leur sont imposées les associations déjà existantes et auxquelles des droits sont attribués. Cet arrêté n'est donc en rien contraire aux présentes instructions. Je vous prie, monsieur le gouverneur, de le suivre exactement, relativement aux associations déjà établies ou qui se formeront dans votre province. " 85. C'est, en effet, ce que constatent les décisions du Congrès, à qui le projet suivant avait été soumis : 1o Les Belges ont le droit de s'associer. Ce droit ne peut être soumis à aucune mesure préventive; 2° Les associations ne peuvent être considérées comme personnes civiles, ni en exercer collectivement les droits, que lorsqu'elles auront été reconnues par une loi, et en se conformant aux dispositions que cette loi prescrit; 3° Les associations constituées personnes civiles ne peuvent faire aucune acquisition à titre gratuit ou onéreux qu'avec l'assentiment spécial du pouvoir législatif; 4° Les dispositions qui précèdent ne sont pas applicables aux sociétés civiles ou commerciales ordinaires, lesquelles sont régies par les codes civil et de com merce. » |