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de l'apport du crédit que nous sommes tenus de n'admettre que la plus stricte probité.

99. Il est un autre exemple qu'on ne saurait passer sous silence, parce que l'histoire de ces dernières années ne l'a rendu que trop vivant. Parmi les entreprises qui se sont produites dans divers pays avec un éclat peu justifié ensuite par la réalité des faits, nous avons vu figurer des personnages jouissant dans le monde d'un grand crédit. Mais leur trop de confiance, leur peu d'expérience des affaires ne leur a pas permis de voir qu'on abusait de l'autorité de leur nom pour couvrir des spéculations aventureuses. Un semblable crédit ne peut constituer un apport. Nous n'admettons comme tel que le crédit commercial ou tout au moins le crédit des affaires, le crédit industriel.

C'est ce qui faisait dire à Berlier (1): « Un nom isolé de tout acte de la personne est une chose fort abstraite, au lieu que l'industrie est une chose positive à laquelle il convient de s'arrêter. Un nom isolé de tout acte, oui, sans doute; mais un nom commercial n'est pas plus abstrait que l'industrie. Il faut donc ne pas oublier qu'il y a là deux extrêmes à éviter (2).

100. Inutile de reproduire ici tous les exemples donnés par les auteurs de ce que peuvent être les apports: tout ce qui est dans le commerce, qu'il s'agisse de la propriété ou de la jouissance, de choses corporelles ou de biens incorporels, de la propriété ou de la jouissance ou

(1) LOCRÉ, Législ., t. VII, p. 230 (II, IV, 4).

(2) PONT, t. VII, no 65, fait remarquer fort justement que « l'on ne peut pas dire que la foi des tiers y serait trompée parce que, même quand il ne coopère pas à l'œuvre sociale, celui qui y a porté son nom, son influence, son crédit, a par cela même engagé sa responsabilité personnelle envers les tiers qui traiteront avec la société ".

même de l'usage, peu importe. Tout ce qui peut se vendre peut se mettre en société. Une concession de chemin de fer (1), l'exploitation d'un brevet d'invention (2), une production de l'esprit, un secret industriel, une clientèle (3), une ouverture de crédit (4).

il

Un brevet d'invention, dit Tillière, peut faire partie de l'actif d'une société commerciale ou civile, soit qu'il ait été pris au nom de la société, de l'être moral représentant tous les membres de la société, soit que l'un des associés en ait fait apport dans sa mise sociale (5). Dans ces cas, y a copropriété indivise entre tous ceux qui font partie de la société, les charges comme les bénéfices sont répartis entre tous, l'exploitation a lieu pour le compte de la société. Si l'apport de l'associé ne consiste que dans une cession de la part qu'il avait dans la copropriété divise au brevet, la société exploitera concurremment avec les tiers auxquels appartiennent les autres parts. »

101. Les jurisconsultes nous apprennent même qu'on peut mettre en société les choses futures. Ainsi, par exemple, on peut mettre en société une succession future, pourvu que ce ne soit pas la succession d'une personne déterminée encore vivante (6) (C. civ., art. 1130).

102. Mais serait nulle comme contraire aux lois une société ayant pour but la levée de troupes pour combattre le gouvernement du pays (7).

(1) Liége, 7 août 1867 (Pasic., 1868, 2, 12).

(2) TILLIÈRE, n' 101; PICARD et OLIN, nos 446, 447 et 500.

(3) BEDARRIDE, des Sociétés, no 29.

(4) Trib. de Charleroi, 26 mars 1879 (Pasic., 1880, 3, 153; D. Répertoire, vo Société, nos 84 et s.).

(5) L'être moral, s'il s'agit d'une société commerciale (voy. infrà, n® 236).

(6) Voy. DALLOZ, Répertoire, vo Société, no 85.

(7) Paris, 21 juin 1833 (DALLOZ, Répertoire, vo Obligations, no 559).

Il en serait de même d'une société formée entre des officiers ministériels ayant pour but de déroger aux règles et aux devoirs de la profession (1).

103. On a considéré également comme contraire à la liberté du commerce toute convention par laquelle le commis qui loue ses services à un commerçant s'engage à ne jamais s'établir pour exercer son industrie d'une manière générale et absolue (2).

Mais c'est évidemment à tort qu'étendant cette prohibition à une convention qui limite, sinon le temps, du moins l'espace, la cour de Metz a jugé qu'il y a nullité dans l'engagement d'un commis qui, en louant ses services à un commerçant, s'engage à ne jamais s'établir, pour exercer la même profession, dans la localité et dans un rayon déterminé (3).

Cette doctrine est d'ailleurs réfutée par l'arrêt du 5 juillet 1865, que nous venons de citer. Quoi de plus naturel et de plus juste qu'un négociant, qui met un commis au courant de ses affaires et de ses secrets, qui le met en rapport avec ses clients, stipule avec lui qu'il ne pourra pas profiter de ces confidences nécessaires, pour élever une concurrence dans la même localité? Le reste du pays lui est ouvert; mais il ne peut avoir le droit de tourner contre son patron ou les enfants de celui-ci les bienfaits qu'il en a reçus. Ce qui est immoral, c'est de voir un commis quittant la maison de son patron et élevant dans la même localité un établissement rival pour lui ravir,

(1) DALLOZ, Répertoire, vo Obligations, no 571; Montpellier, 28 août 1830; Cass. Fr., 10 janvier 1865 (D. P., 1865, 1, 290).

(2) Cass. Fr., 5 juillet 1865 (D. P., 1865, 1, 425); idem, 24 janvier 1866 (D. P., 1866, 1, 81); idem, 1er juillet 1867 (D. P., 1868, 1, 21); idem, 3 mars 1868 (ibid., p. 481).

(3) Metz, 16 juin 1863 (D. P. 1864, 2, 14).

par ce moyen, sa clientèle. Il est bien entendu toutefois. que cette obligation de ne jamais s'établir ne doit pas être étendue d'une manière absolue. Mais, dans l'espèce jugée par la cour de Metz, la clause était celle-ci :

Art. 3. Gru ne pourra jamais s'établir à Charleville ni à Mézières, ni dans les environs, à moins que ce ne soit à dix kilomètres de Charleville. "

Qu'y a-t-il donc de contraire à la loi ou à la liberté dans cette clause? Un négociant est-il perdu ou ruiné parce qu'il devra vivre et travailler à plus de dix kilomètres de Charleville? Et c'est pour ce motif qu'on annule tout un contrat!

Serait-ce donc une clause nulle que celle par laquelle un négociant qui cède son fonds s'engagerait à ne plus exercer le même commerce? Mais qui donc voudrait acheter le fonds de certains négociants en renom s'il y avait à craindre un jour le retour sur la place de ce même commerçant et de sa notoriété?

J'avoue que les arguments tirés des articles 686 du code civil et 1780 du même code ne m'ont pas convaincu. Il n'y a, dans la clause qui nous occupe, aucune renonciation de la part du commerçant à exercer sa profession. La liberté de l'industrie n'est pas même en cause.

104. C'est, du reste, ce qu'a jugé, par trois fois, la cour de cassation de France (1). L'arrêt de 1862 fait remarquer, avec beaucoup de raison, que la clause ne serait nulle que si elle était absolue et tendait à priver un citoyen du droit d'exercer son industrie en quelque lieu que ce fût.

105. Mais il y aurait nullité radicale d'une société for

(1) Cass., 2 mai 1860; 21 février 1862; 5 juillet 1865 (D. P., 1860, 1, 218 ; 1862, 1, 185; 1865, 1, 425).

mée entre des commissionnaires publics pour colporter une brochure renfermant des imputations calomnieuses et injurieuses contre diverses personnes (1).

106. On devrait décider de même dans le cas d'une association entre un imprimeur et un auteur pour imprimer et publier un ouvrage de celui-ci qui contient une série d'aventures immorales écrites d'une manière licencieuse. La nullité ne pourrait faire l'objet d'un doute : il n'y aurait à débattre qu'une question de fait (2).

107. Voici un exemple, cité par Merlin, de ce qui est licite ou ne l'est pas, et dans lequel les arguments les plus spécieux se sont produits de part et d'autre (3).

« Le 13 avril 1776, le sieur Sutton, chirurgien anglais, naturalisé en France, possédant le secret d'une manière d'inoculer qui, de son nom, a été appelée suttonienne, et le sieur O'Ryan, médecin anglais, établi à Lyon, ont fait ensemble une convention dont voici les principales clauses:

<< 1o Le sieur Sutton s'engage et s'oblige de montrer et enseigner au sieur O'Ryan la composition, préparation et manière d'administrer les différents remèdes et traitements nécessaires dans l'inoculation, suivant sa méthode vulgairement appelée suttonienne, sans lui en rien celer ni déguiser;

2o Comme l'intention du sieur O'Ryan est de s'établir à Lyon, pour y exercer et pratiquer tant l'inoculation que la médecine en général, le sieur Sutton promet de ne point inoculer ni faire inoculer par d'autres dans la ville de Lyon et à quatorze lieues autour qu'à la charge de re

(1) Bruxelles, 7 août 1865 (Pasic., 1866, 2, 69).

(2) Argument d'un arrêt de Bruxelles, 5 février 1831 (Pasic., 1831, 2, 17).

(3) MERLIN, Rép. de jur., vo Société, t. XXXI, sect. I, p. 256.

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