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- au bien public ». Mornac, au même endroit, rapporte un autre arrêt de l'an 1612 qui a condamné une semblable association faite entre les huissiers de la cour. On peut dire, à ce sujet, que deux notaires frères ne peuvent conjointement passer des contrats : cela leur ayant été interdit par arrêt du mois d'août 1613, remarqué aussi par le même Mornac, ad l. Si pater 17, ff. de testib. Et par un autre arrêt du 22 janvier 1650, défenses ont été faites

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aux proches parens ou alliez, de s'associer ensemble < pour recevoir des actes et contrats, le pere et le fils, < les deux freres, l'oncle et le neveu, le beau-pere et le gendre. Voyez le plaidoyé 8 de maîtres Auguste et "Thomas les Galands. »

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Il a été pareillement défendu aux boulangers d'être meûniers et de prendre des moulins (1) et de s'associer avec un meûnier, nec è contra, par arrêt de l'an 1420, rapporté par Lucius, lib. 6, placit. tit. 17, § 4. Et, conformément à ce que dessus, au procès d'entre Le Coq, exempt de la maréchaussée, demandeur et accusateur, contre Mouton et Gibert, archers en ladite maréchaussée, et aussi sergens au bailliage de Troyes; ayant été reconnu que beaucoup de sergens s'associoient deux à deux, l'un exécutant comme sergent, et l'autre servant de recors; il a été défendu à tous huissiers et sergens de s'associer ensemble, ni de prendre pour recors et témoins de leurs exploits aucuns archers, ni sergens, à peine de nullité des exploits, et de tous dépens, dommages et intérêts des parties, par sentence du 22 may 1649, rendue ensuite de plusieurs règlemens précédens (2).

(1) Inutile de faire remarquer que ceci serait aujourd'hui sans application.

(2) LEGRAND, Coutume de Troyes, Des Droits des successions, tit. VI, art. CI, p. 58, nos 16 à 21); Cass. Fr., 10 janvier 1865 (D. P., 1865, 1, 290).

111. Un notaire, un avoué peuvent avoir des employés qui leur obéissent, dont ils sont responsables, et non des associés qui partagent le pouvoir en partageant les bénéfices; la nomination est personnelle, c'est assez dire. Il faut ajouter que la nécessité de réaliser ces bénéfices surexcite l'avidité et conduit la société à des actes qu'un fonctionnaire honorable n'aurait jamais admis comme possibles.

112. Il en serait de même d'une association de notaires pour partager les bénéfices de leurs actes ou pour ne les faire qu'à un taux déterminé, comme nous venons de le voir par l'exemple que nous rapporte Legrand.

113. Je sais qu'en Angleterre les solicitors sont presque toujours constitués en société; on traite avec une firme et non avec un fonctionnaire. D'ordinaire, chacun des associés a sa spécialité et reçoit les clients qui la concernent un nombre considérable d'employés aident les patrons à gérer cette entreprise compliquée; les bénéfices dépassent tout ce qu'on pourrait se figurer sur le continent, où les fonctions de ce genre sont aussi inconnues que le sont les opérations multiples et nombreuses auxquelles elles ont à pourvoir. Or, le solicitor a un certain caractère public et fait certains actes simples qui en Belgique sont confiés aux notaires, tels que les procurations. Mais nous ne pouvons tirer aucun argument de cet exemple. Sans doute les fonctions de solicitor sont exercées avec beaucoup de délicatesse et elles rendent de grands services, ne fût-ce qu'en débarrassant les fonctions d'avocat

Quant aux huissiers, voy. Toulouse, 18 janvier 1866 (D. P., 1866, 2, 6), admettant la validité de l'association. - Voyez aussi : Bordeaux, 26 avril 1881 (Journ S. C. C, 1881, p. 619), annulant la société formée par un greffier. Consultez Rennes, 19 janvier 1881 (D. P., 1881. 2, 104); Paris, 5 mars 1881 (Journ. S. C. C., 1881, p. 407); même recueil 1881, p. 622.

(barrister) de tout ce qui ressemble à une agence d'affaires. Les avocats anglais poussent la délicatesse et l'estime de leurs hautes fonctions jusqu'à ne pas consentir à entrer directement en relations avec les plaideurs : c'est le solicitor qui se charge du rôle d'intermédiaire et qui accomplit toutes les démarches nécessaires pour réunir les pièces et les faits qu'exige le procès. Mais nous ne pouvons, en Belgique, malgré nos rapports fréquents et amicaux avec nos voisins les Anglais, nous figurer quelles sont les mœurs et les habitudes d'un pays auquel la mer devrait nous réunir depuis des siècles, tandis qu'elle n'a cessé de nous en séparer. Ces fonctions à demi commerciales et à demi publiques ne sont guère intelligibles pour nous. Restons dans nos habitudes et dans nos principes jusqu'à ce que les idées aient subi une transformation qui ne me paraît pas prochaine. Disons d'ailleurs que le caractère public est ici secondaire : c'est surtout une agence d'affaires.

114. A plus forte raison, deux avocats ne pourraientils pas s'associer pour partager les honoraires que leur procure leur profession. Sans doute rien n'est plus conforme aux règles de la confraternité qui doit régner entre hommes d'étude et de science que la collaboration en tant qu'elle s'applique à des questions déterminées, en tant qu'elle n'a pour but que d'apporter un concours éclairé dont chacun profite à son tour; mais il y a loin de cette aide confraternelle à une association qui mettrait en commun ce qu'on ne peut mettre dans le commerce sans indignité. Non seulement une semblable société serait nulle comme contraire à la loi, contraire aux traditions du barreau et aux règles de la délicatesse dont il a toujours été jaloux, mais il exposerait à des peines disciplinaires les avocats qui auraient oublié à ce point leurs devoirs. Le

barreau doit avoir toujours en vue la position élevée des barristers anglais des fonctions qui consistent à interpréter la loi, à conseiller des procès ou à les arrêter au début par de sages conseils; à empêcher par la persuasion un procès qui paraît bon, mais qui n'est pas honnête; à soutenir envers et contre tous celui qui a raison, bien qu'il paraisse avoir tort; à défendre l'honnête homme que le malheur, la méchanceté, la calomnie, l'erreur quelquefois a couvert de honte et d'infamie; à faire entendre aux tribunaux les plus élevés, au pays lui-même, un langage toujours honnête, toujours modéré et toujours d'une inébranlable fermeté, comme il convient à tout ce qui émane d'une conscience libre; ces fonctions qui exigent autant de science dans l'esprit que de pureté dans l'âme doivent rester dans ces régions sereines, inaccessibles aux petits calculs de l'intérêt et aux mesquines discussions qu'amènent presque infailliblement certaines opérations. Mieux vaudrait voir s'élever dans notre pays de grandes agences d'affaires, commerce très recommandable et susceptible de rendre de grands services tant à l'expédition des affaires commerciales qu'à l'administration de la justice; cette division du travail ne pourrait offrir que de grands avantages. Il ne faut pas oublier que l'indépendance des intermédiaires entre les tribunaux et les plaideurs est d'intérêt général; la dignité du barreau constitue un des éléments de l'administration de la justice.

115. Nous l'avons vu, l'article 1833 déclare surabondamment que l'objet de la société doit être licite, principe déjà posé d'une manière générale par l'article 6 et par les articles 1131, 1133 et 1172 du code civil. Les exemples n'ont pas manqué; on comprend qu'après plus de soixante ans la jurisprudence ait dû en fournir un grand nombre, sans compter le droit ancien et le droit romain.

Mais nous ne pouvons terminer cette étude sans examiner une doctrine singulière émise par Toullier. Ce jurisconsulte éminent, dont l'étude offre tant d'attraits et dont on écoute si volontiers les enseignements, a adopté, au sujet de l'interprétation de l'article 1133 du code civil, une opinion fort extraordinaire. Il efface purement et simple. ment les mots : « prohibée par la loi », et même ceux-ci : < contraire à l'ordre public », pour ne voir que la question de moralité. C'est tout simplement changer la loi et d'une manière bien malheureuse, puisque ce serait ériger en principe que l'on peut former des associations pour contrevenir à ce que la loi ordonne; de telle sorte que la nation ou la souveraineté nationale, si l'on veut, après avoir décrété une mesure qu'elle croit nécessaire, permettrait l'établissement d'une association dirigée en sens contraire. Ce principe peut-il subir les épreuves de la discussion? Lui en eût-on fait l'honneur si ce n'était par respect pour Toullier?

116. Sans doute il ne faut pas se targuer d'un rigorisme exagéré en parlant des violations de la loi. Les actions des hommes doivent être libres comme leurs opinions; on ne pourrait regarder comme blâinable une association ayant pour but d'amener la revision d'une loi : les lois elles-mêmes peuvent être discutées dans un pays où tous les pouvoirs émanent de la nation. On pourra évidemment fonder aussi une société d'exportation, et la validité de cette société ne pourra être contestée par le motif que les opérations commerciales pourraient avoir pour conséquence de violer les lois de douane d'un pays étranger. Ce serait ici confondre l'accessoire avec le principal, la nature de la société, la substance, le but, l'objet de ce contrat, avec des conséquences accidentelles et variables; ce serait remplacer ce qui est, et ce qui est

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