Imágenes de páginas
PDF
EPUB

bien, par ce qui pourra ou pourrait être. Jamais la science. n'admettra de pareilles erreurs, sous prétexte d'interpré

tation.

117. Mais quittons ces hypothèses où la loi est respectée par les parties contractantes. Si nous supposons une société formée pour empêcher l'exécution d'une loi, que ce soit une loi fiscale ou toute autre; si nous supposons une société ayant pour objet d'importer des marchandises en fraudant les droits, pourra-t-on dire que, parce que les lois de douane ne touchent pas à la morale, cette cause sera licite, cet objet ne constituera pas une contravention expresse à l'article 1833? Il nous paraît difficile de comprendre une morale qui permette de s'associer pour frustrer le trésor public, c'est-à-dire tous les concitoyens, de ce qui est légitimement dû, de réaliser des bénéfices illégitimes en faisant entrer dans la caisse sociale des fonds qui devraient se trouver dans le trésor de l'État; d'opposer une concurrence déloyale à des rivaux qui sont assez candides pour exécuter les lois et les règlements et payer ce qu'ils doivent. On formera une association pour frauder les droits d'accises, établir des usines clandestines, dépister les agents de l'autorité, et tout cela sera valable! Ce ne sera pas un objet illicite, une obligation sur une cause prohibée par la loi (1)!

118. Mais toutes les hypothèses ne se présentent pas avec la même netteté. Tout ce que la loi défend est illicite ou bien certainement prohibé par la loi ». Ainsi les coalitions étaient interdites autrefois, sous l'empire du

(1) Duvergier, 11o 30; DEMOLOMBE, t. XII, p. 106, no 320; Liége, 11 juin 1812. Voy., comme espèces intéressantes de causes illicites: Lyon, 25 mars 1873 (D. P., 1873, 2, 68); Toulouse, 2 mars 1870, et arrêt de rejet (ibid., 1872, 1, 256); DALLOZ, Répertoire, vo Obligations, no 638.

code pénal de 1810, tandis qu'aujourd'hui, sous l'empire de la loi qui nous régit, rien n'empêche les ouvriers, ainsi que leurs patrons, d'user des droits que la loi leur donne et de former, pour cela, des associations; l'article 310 du code pénal ne punit que les atteintes à la liberté d'autrui, par violences, injures, menaces ou rassemblements formés près des établissements ou de la demeure des directeurs. Voilà donc des faits autrefois illicites devenus aujourd'hui réguliers et légaux, constituant l'exercice d'un droit incontestable.

Mais ce que la loi belge ne défend pas?

Par exemple, un marchand de tabac forme, avec un financier ou avec des hommes entreprenants, une société pour faire pénétrer, en France, cette denrée en fraude contre les lois de ce pays. Nous pouvons même supposer qu'il s'agit d'une denrée pour laquelle le gouvernement accorde une prime à l'exportation. Que dire d'une telle société? Elle n'est pas « prohibée par la loi du moins directement; elle n'est pas contraire aux bonnes mœurs : est-elle contraire à l'ordre public (art. 1133 du code civil)? Nous n'hésitons pas à dire oui.

Les principes de délicatesse et de probité; les bons rapports qui doivent exister entre les nations voisines; les idées de solidarité qui prennent chaque jour un nouvel empire; l'abolition du droit d'aubaine; les traités d'extradition; les traités sur l'assistance des pauvres appartenant à une nation étrangère; tout, dans les idées modernes, nous démontre que l'ordre public n'admet pas la fraude et la violation de la loi d'un pays, sous prétexte que ce pays n'est pas le nôtre et que nous ne lui devons rien. Qu'est-ce que cette morale ou ce principe de droit étranger à la morale qui permet qu'un pays ami soit traité comme ennemi? Qu'on entretienne une légation dans sa capitale,

qu'on échange toutes les protestations qui supposent une alliance intime, et qu'on le traite en même temps comme ennemi, non par une guerre ouverte et sanglante, il est vrai, mais par une guerre sourde et honteuse qui porte une grave atteinte à ses intérêts et méconnaît le droit. pour toute nation de se régir par ses propres lois, sans immixtion de l'étranger? Est-ce bien à nous, nation neutre et honnête, qui devons tout aux immuables lois du droit des gens, à en oublier les premiers éléments? Sans doute, ce n'est pas aux tribunaux belges d'appliquer les lois de douane de nos voisins, ils sont pour cela heureusement incompétents; mais ce n'est pas cela que nous leur demandons. Entre appliquer une peine essentiellement territoriale et repousser comme illicite un commerce interlope que l'usage ne pourra jamais justifier, quel rapport y a-t-il? L'ordre public ne permet pas une guerre aussi peu conforme à l'honnêteté qui doit toujours présider aux entreprises commerciales; les tribunaux ne peuvent se rendre indirectement complices d'une mauvaise action en lui assurant la force qui n'appartient qu'à la loi.

119. Il est bien vrai que la cour de cassation de France a décidé le contraire, dans une espèce où il s'agit d'introduire des denrées françaises en Espagne, en trompant les fonctionnaires de ce pays (1). La cour de Pau, dont l'arrêt avait été déféré à la cour, avait rendu une décision dans le même sens. Cette décision toutefois n'a pas l'autorité qui s'attache toujours aux décisions de la cour suprême lorsqu'elles s'appliquent aux questions de principe. C'est ce qu'aurait dû remarquer Delangle, qui attaque vivement cet arrêt. Il aurait pu l'affaiblir beaucoup en faisant observer que les circonstances, dans lesquelles la cour de Pau

(1) Cass., 25 août 1835 (DALLOZ, Répertoire, vo Société, no 151).

a eu à statuer, ont dû influer sur sa décision et lui faire accepter plus facilement des arguments qui manquent de base en droit comme en équité. Il faut remarquer, en effet, que la société dont il s'agit était légale dans son principe elle avait pour but de fournir à l'armée francaise, intervenant en Espagne, les objets nécessaires à l'entretien et à la nourriture des soldats, objets qui étaient exemptés de tout droit de douane par le traité du 7 février 1824. Les associés avaient abusé de leur position pour étendre la franchise de droit à d'autres objets qu'ils firent entrer en fraude. C'était un incontestable abus; mais cet écart du droit chemin ne peut être assimilé à une association fondée en vue de la fraude et n'ayant d'autre cause. De plus, remarquons aussi qu'il s'agissait uniquement de liquider les opérations accomplies, non d'exiger l'exécution d'un contrat repoussé par une partie comme immoral.

Cet arrêt est critiqué par Delangle (1), par Dalloz (2) et par Pont (3); mais la doctrine qu'il semble consacrer est approuvée par Larombière (4) et Pardessus (5). Elle a même l'appui d'un arrêt de la cour de Bruxelles (6).

(1) DELANGLE, no 104; voy. aussi POTHIER, Société, no 14, 4o, et Assurances, no 58.

(2) DALLOZ, Répertoire, vo Société, no 151; vo Obligations, no 591; vo Droit maritime, no 1681.

(3) PONT. t. VII, no 43.

(4) LAROMBIÈRE, art. 1133, no 41. (5) PARDESSUS, nos 161, 772, 814. Nous ne savons par suite de quelle erreur on cite cet auteur comme ayant adopté l'opinion contraire. Il fait très expressément (no 814) la distinction entre la contrebande dans le pays et la contrebande à l'étranger. Au no 161, il ne critique celle-ci que d'après les principes du droit naturel. - Voy. aussi EMÉRIGON, Traité des assurances, t. Ier, p. 215; MERLIN, Répertoire, vo Arrêt de prince, V; BLACKSTONE, chap. XXX, t. III, p. 350.

(6) Bruxelles, 3 juillet 1844 (Pasic., 1844, 2, 222). Voy. aussi ARNTZ, no 1262, qui fait une distinction entre le cas où il y a un traité par lequel deux pays se sont engagés à prévenir ou à réprimer la fraude et le cas où

120. Ces autorités nous obligent à insister.

Le seul argument de Larombière, c'est que : « Il appartient à chaque peuple de se suffire à lui-même pour l'exécution de ses lois de police particulière. Les autres États n'ont que faire à s'immiscer dans une police qui ne les touche pas, qui ne les regarde pas..."

Autant d'erreurs que de mots.

D'abord il ne s'agit pas d'exécuter des lois de police, mais de ne pas permettre qu'on organise des sociétés pour y contrevenir, ou plutôt il s'agit de ne pas assurer l'exécution d'actes qui poursuivent ce but.

En second lieu, il est facile de voir combien cet argument retarde sur notre siècle. Nous écrivions ceci, en 1874, le jour même où se réunissait le Congrès de Bruxelles destiné à adoucir les maux de la guerre et à consacrer les principes du droit des gens même au milieu des combats; on ne pourra plus dire, comme l'orateur romain: Leges inter arma silent.

N'oublions pas qu'il y a à peine quelques années, deux puissantes nations ont soumis à un tribunal arbitral un fait de droit international, et que ce tribunal, le plus élevé qu'on ait jamais pu concevoir, a statué sur une action en dommages-intérêts. La question débattue était purement et simplement celle-ci : L'Angleterre a-t-elle respecté les droits d'un pays ami, d'un allié, en tolérant les faits dont se plaint l'Amérique? Voilà un hommage rendu à la justice et à la morale. Est-ce là cet isolement égoïste et inhumain dont parle Larombière?

D'ailleurs, à prendre même l'argument au pied de la

il n'existe pas de pareils traités. Dans ce dernier cas, le savant professeur à l'université de Bruxelles regarde la société comme valablement contractée.

« AnteriorContinuar »