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Un contrat;

Quelque chose en commun;

Dans la vue de partager le bénéfice.

Nous arrivons à la troisième condition, celle peut-être qui a donné lieu aux controverses les plus nombreuses. L'histoire ici doit nous éclairer on ne peut espérer de préciser et de comprendre l'intention du législateur sans se reporter aux idées dont il a été entouré.

125. En droit romain, on paraît se préoccuper peu du bénéfice, loin d'en faire une condition essentielle. Maynz s'exprime ainsi à ce sujet (1) :

Le contrat de société existe lorsque deux ou plusieurs personnes s'engagent mutuellement à mettre en commun. des moyens d'acquisition pour atteindre un BUT COMMUN. Pour qu'il y ait société, il faut donc :

« ... 2o Un résultat commun à obtenir par des opérations faites dans l'intérêt commun. Le but social consiste ordinairement à faire un gain, mais cela n'est pas absolu; il suffit que les associés en contractant aient eu en vue un résultat quelconque et que ce résultat soit destiné à devenir

commun.

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Item, si in communem rivum reficiendum impensa facta fuerint, pro socio esse actionem ad recuperandum, sumptum, Cassius scripsit.

"

126. Duvergier, de son côté, expose les principes auxquels le contrat de société fut soumis pendant des siècles (2):

De tout temps on a considéré comme le caractère distinctif du contrat de société l'intention des parties d'obtenir par leur union un bénéfice qu'isolées elles ne

(1) MAYNZ, Cours de droit romain, 3e édit., t. II, p. 247, § 310.

(2) DUVERGIER, Société, no 5.

n'a

pourraient se procurer; mais cette condition essentielle pas toujours été placée par les législateurs et par les jurisconsultes au rang qui lui appartient. On ne trouve dans le droit romain aucun texte qui ait pour but spécial et direct de la mettre en évidence; c'est toujours incidemment qu'elle est indiquée. D'ailleurs, longtemps on a ignoré toute la puissance de production qu'acquièrent les capitaux en s'unissant. La plupart des exemples que fournissent les lois romaines et que citent les jurisconsultes, même ceux qui ont écrit à une époque rapprochée, sont empruntés à l'industrie agricole et ne rappellent que des combinaisons sans importance, sans étendue, inspirées par la nécessité et plutôt faites pour prévenir des pertes que pour procurer des gains. Ainsi, Despeisses, Pothier, Domat nous parlent souvent de laboureurs qui mettent leurs chevaux et leurs bœufs en commun; de voisines qui apportent chacune une vache dans la société. Sans doute les principes sont indépendants des choses qui forment les mises sociales; cependant on conviendra que leur application à des matières et à des faits entièrement étrangers à l'activité commerciale n'était pas propre à rendre familière et sensible cette vérité importante, que toute société a pour but de créer des bénéfices, par la communication d'objets qui, séparés, seraient moins productifs, ou même absolument stériles.

« Aussi voyons-nous qu'autrefois la communauté et la société étaient à peu près confondues. Là où l'on trouvait la première établie, on supposait que la seconde avait été contractée. Dans la plupart des coutumes, un père et un fils, des frères, quelquefois même des étrangers, vivant en commun, étaient tenus pour associés. La distinction entre des rapports de parenté ou d'affection, et des relations formées dans des vues intéressées, était sinon méconnue,

du moins rarement et faiblement appliquée. On ne comprenait pas assez que les sociétés proprement dites sont constituées moins par l'union des personnes que par celle des biens. La doctrine et la législation avaient un ton plus sentimental que scientifique; elles s'attachaient au moins autant à donner de sages conseils sur les procédés et les égards que se doivent mutuellement les associés, qu'à former les règles relatives à l'administration du fonds social. »

127. Continuant cet intéressant historique, le même auteur ajoute: A mesure que l'industrie et le commerce ont pris du développement, des sommes plus considérables et des procédés nouveaux leur sont devenus nécessaires; il leur a fallu plus de bras, plus d'intelligence et plus d'argent. C'est à l'aide des sociétés qu'il a été possible de se procurer ces éléments indispensables et de les combiner d'une manière avantageuse : par conséquent, le nombre des associations s'est rapidement accru, et le signe qui les distingue des simples communautés de biens s'est de plus en plus manifesté. Ce mouvement a commencé au XIIe siècle en Italie. Les commerçants de Gênes, de Florence et de Venise ont formé des associations d'un genre jusqu'alors inconnu; ils y ont fait entrer les capitaux sans les personnes; ils ont trouvé dans la solidarité imposée à tous les associés, et dans la publicité donnée à leurs conventions, des moyens d'étendre et d'assurer leur crédit. Les tribunaux et les jurisconsultes sont venus ensuite, qui ont érigé en règles ces ingénieuses combinaisons; qui en ont recherché les principes et développé les conséquences. Toutefois, malgré l'impulsion imprimée aux travaux des légistes par ces importantes innovations, les vieilles doctrines ont conservé longtemps leur influence. Savary, qui écrivait après la publication de l'ordonnance de 1673,

s'attache avec un soin particulier à indiquer les qualités du cœur et de l'esprit que l'on doit chercher dans un associé. Ses conseils sont fort sages sans doute; mais ils conviendraient autant à des jeunes gens qui songent à se marier qu'à des commerçants qui veulent former une association. Toubeau, contemporain de Savary, et luimême négociant, voulant faire l'apologie des sociétés, s'exprime ainsi :

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Ulpien dit que les sociétés sont louables, parce qu'elles ont beaucoup de rapport à la fraternité. Quin<< tilien dit que c'est une chose sainte, une espèce de fraternité, et que tous les associés n'étant qu'un, c'est une espèce de corps mystique. La sainte Écriture dit que << celui qui aime sa société aime mieux ses associés que ❝ses frères. Personne n'ignore les louanges que l'histoire « donne à la famille des Tubeo romains, qui ont vécu longtemps en société : seize hommes tous mariés, ayant femmes, enfants, neveux et serviteurs, au nombre de cinq cents, vivant en communauté sous un même toit, < sans avoir eu aucune querelle ni contradiction. »

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A la lecture de ce passage, on reconnaît que si le véritable caractère des sociétés n'était pas inconnu aux jurisconsultes et aux industriels de cette époque, du moins les vues économiques et doctrinales se confondaient dans leur esprit avec des appréciations un peu surannées. Ils ne pouvaient parvenir à tracer nettement la ligne de démarcation entre le contrat de société, inventé pour accroître les produits des capitaux et du travail, et ces anciennes communautés, espèces de sociétés primitives, pures de toute pensée d'intérêt, formées non par calcul, mais par penchant, non pour le bénéfice qu'elles devaient procurer. Sous de pareilles influences, il était difficile que les dispositions législatives et les principes de droit en

cette matière reçussent de grands perfectionnements. On avait des règles sur l'apport des mises sociales et sur son effet; sur la détermination des parts de chaque associé dans les bénéfices; sur les causes de dissolution de la société, et sur les moyens d'opérer le partage. Que fallait-il de plus? Y avait-il même quelque chose de possible au delà? A la vérité, l'administration de la société dépendait entièrement des spéculations des associés, et si leur prévoyance n'avait point nommé un gérant et déterminé ses pouvoirs, le droit de chacun était égal, tout le monde était maître. Mais cette absence d'organisation ne paraissait pas avoir d'inconvénients, à raison des liens qu'on supposait exister entre les associés; des dissensions étaient peu probables entre gens qui devaient s'aimer plus que des frères..... "

128. On a fort vivement reproché à Duvergier de sembler ignorer qu'il y avait à Rome de puissantes associations de publicains et, en France, de grandes entreprises (1). Ces reproches, comme on peut le voir par les textes cités, manquent, à leur tour, d'exactitude. M. Maynz déclare formellement, comme principe fondamental, qu'il s'agit plutôt d'un résultat commun que d'un bénéfice. Il est hors de doute que, quelles qu'aient pu être les tentatives de compagnies importantes depuis Richelieu, en France, nos aïeux ont vu surtout dans la société une réunion de personnes. On citera sans doute beaucoup d'exemples qui n'ont jamais figuré dans la pratique qu'à titre d'exceptions: mais on ne peut contester que la société n'ait été, dans l'origine, une réunion de personnes, et que le progrès des richesses n'ait fait plus tard prévaloir et

(1) TROPLONG, no 7; PONT, no 68. — Voy., supra, l'Histoire du contrat de société.

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