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⚫ On voit que les patriotes ne sont pas bien d'accord entre eux sur le nom qui convient le mieux à ce parti, nommé par l'un les brissotins, par l'autre les intrigans, et par moi les autocrates.

› Comme c'est moins un seul parti qu'une coalition de plusieurs, je définirai bientôt cette faction, en expliquant de quelles passions elle se compose.

» Autocrates, intrigans, brissotins, n'importe le nom, depuis que je vois de près vos intrigues dans l'assemblée nationale, vos prétentions si grandes et vos talens si médiocres, et votre méprisable coalition, je vous rends grace de m'avoir fait retrouver mon talent avec ma colère. Ce ne sera pas vous qui ferez chavirer la grande caraque des cordeliers. Elle a éprouvé d'autres coups de vent; elle a échappé à d'autres écueils; elle a essuyé d'autres tempêtes qui ne l'ont point brisée. Si les Jacobins, les patriotes, les vrais amis de la liberté et de l'égalité onť triomphé des Maury et des Cazalès, des La Fayette, des Mirabeau et des Dandré, des Barnave, des Lameth et des Duport, qui avaient des talens et de l'éloquence, que vous n'avez jamais eus, et des millions que votre Roland ne gardera pas long-temps à sa disposition; si nous, inconnus, sans moyens, sans inviolabilité, forts seulement de la raison publique, nous avons tour à tour écrasé tous ces partis, croyez-vous que la victoire nous sera difficile sur des brissotins, sur cette coalition d'intrigans à qui on ne peut rien dire de pis que leur nom? Croyez-vous que cette victoire nous sera difficile, aujourd'hui que le peuple a anéanti nos décrets de prise de corps, et a nommé pour ses représentans à Paris la plupart des plus intrépides confesseurs de sa cause? Hier, aux Jacobins, nous avons entendu un député de Chartres nous dire à la tribune, en présence de plus de deux mille personnes, ces paroles remarquables : « Citoyens, ce ne sont point mes con›jectures dont je vais vous faire part, mais les confidences que > l'on m'a faites. Les intrigans ont voulu me mettre de leur bord; > ils m'ont communiqué leurs projets. Ces projets odieux sont › de faire sortir la Convention de Paris, de diviser le peuple ⚫ français en républiques fédératives. Ils ont convenu d'appeler

› maratistes tous ceux qui veulent l'unité du peuple français. Voilà ce qui a été dit hier à la tribune des Jacobins; et on a ajouté: O intrigans, vous n'êtes pas ennemis de Paris parce que c'est la ville de Paris, mais parce que cette ville a une population immense, et renferme dans son sein une multitude de citoyens éclairés, la terreur des intrigans. Si Bordeaux, ou Marseille, ou Évreux, ou Chartres, étaient aussi peuplés, aussi éclairés, vous les haïriez à l'égal de Paris; car ce n'est pas Paris que vous haïssez, mais c'est le peuple, c'est une ville qui a deux millions d'yeux. Mais vous avez beau vous coaliser, autocrates, intrigans, brissotins, vous n'êtes qu'une poignée d'hommes, qui serez submergés dans les crachats de vingt-cinq millions de citoyens. >

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Nos lecteurs ont dû remarquer l'usage que Camille Desmoulins fait du mot autocrate, il s'en sert souvent dans son journal; voici comment il le définit et l'intronise:

‹ Déjà j'ai fait le sacrifice du mot brissotin. A la vérité, j'ai regret à ce mot; il sonnait si bien à l'oreille, et il avait fait dans le monde une certaine fortune, dont il semblait que Molière, prophète, eût pris soin, en établissant sur la scène les trissotins qui ont quelque affinité avec les brissotins. Mais les observations que j'ai faites et la justice m'obligent à substituer le genre à l'espèce, et à me servir désormais du mot générique autocrate, autocratie; il désigne mieux le but de toutes ces intrigues qu'on voit dans l'assemblée.

› Les autocrates sont proprement dits ceux qui veulent dominer, gouverner eux-mêmes et tout faire; s'emparer, eux ou leurs créatures, du bureau, des comités, de la sonnette et du ministère. Les exemples expliqueront ce mot autocrate mieux qu'aucune définition.

> Un ministre affecte le désintéressement d'Aristide; pour mettre ce désintéressement à l'épreuve, quelqu'un lui fait la malice de le faire nommer à la Convention, et le voilà nécessité à opter entre un palais ou un second étage, entre un carrosse ou

ses jambes sexagénaires, entre 75,000 livres ou 6,000 livres de rentes. Que va faire Aristide? D'un côté, il fait contester sa nomination de député; de l'autre, il prie ses amis de s'opposer à ce que sa démission de ministre soit reçue. Guiton-Morvaux s'écrie que, C'en est fait de la République si le grand homme quitte les rênes. Tous les familiers du ministre répètent en choeur, C'en est fait de la République. Voilà qui va bien, se dit Aristide, et aussitôt le ministre désintéressé, pour avoir à la fois l'honneur et le profit, envoie sa démission, qu'il croit qui va être rejetée par acclamation et comme une calamité; mais, au lieu de cette acclamation, la discussion s'ouvre, les esprits semblent partagés, et vite il a peur d'être pris au mot, et il retire sa démission, malgré le principe, que donner et retenir ne vaut ; et le lendemain, la première chose qu'on lit à l'ouverture de la séance à l'assemblée, c'est une lettre de Roland, où il dit: Je sens tout l'honneur de coopérer à la formation d'un gouvernement qui doit être le code du monde. Mais je sacrifie cet honneur, je renonce au repos, je reste au ministère, j'achève le sacrifice et je me dévoue tout entier. › (Révol. de France, n. 10.)

Le mot autocrate n'eut pas la même fortune que celui de brissotin, bien qu'il en méritàt davantage; car il désigne trèsbien une classe de gens devenue fort nombreuse, et aujourd'hui plus que jamais. Nous appelons avec Desmoulins, autocrates, ceux qui se préfèrent eux-mêmes à tout et à tous, ceux qui veulent donner le gouvernement de la chose publique à un seul intérêt, le leur; qui ne voient rien qui ne doive obéir à leur personnalité; qui ne trouvent beau, bien, vrai, juste, convenable, qu'eux-mêmes. Or, ces gens-là sont de tous les temps, et jamais il n'y en eut plus que du nôtre. Ainsi, le gouvernement sous lequel nous avons le bonheur de vivre, et celui que nous promettent les estimables candidats qui se présentent, ne sont rien de plus que de belles et bonnes autocraties.

Après Desmoulins, nous devrions citer parmi les journaux anti-girondins, les Révolutions de Paris; mais elles ne présentent rien qui ne soit, pour la vigueur, au-dessous de ce que nous ve

nons de lire; le Républicain, journal des hommes libres de tous les pays; le Créole, par Milscent; mais ces deux derniers ne présentent aucun article intéressant. Le premier est dénoncé par Marat comme appartenant à la clique; cependant il parle avec éloges de Robespierre, et il attaque Roland. Chacun se demande, dit-il, numéro 28, où veut arriver Roland avec ses perpétuelles dénonciations contre des hommes qu'il paraît craindre ou haïr, contre la Commune de Paris dont l'énergie et la surveillance gênent son insatiable avidité de pouvoir, et même contre les membres de la Convention nationale composant le comité d'agriculture, qu'il a dénoncé à la Convention comme contrariant ses vues? Certes, si les vues du ministre ont été d'affamer la République en négligeant son approvisionnement, quoique, depuis long-temps, il ait reçu douze millions pour y pourvoir; si ses vues ont été de provoquer la guerre civile en në prenant aucune mesure pour les subsistances, et en criant qu'on va en manquer, au moment même où des ressemblemens partiels sont en mouvement pour s'en procurer; si enfin ses vues ont été d'effrayer la Convention nationale par le faux bruit du canon d'alarme prêt à tirer; certes, il n'est pas étonnant que des hommes purs et qui désirent le bien, contrarient ses vues et surtout en empêchent absolument l'effet. »

Le Républicain ne venait que de commencer. Son premier numéro parut le 1er novembre. Il contient un bulletin abrégé des séances les plus intéressantes des Jacobins et de la Commune. Quant au Créole, il manifeste aussi de grandes sympathies pour les Jacobins ; mais il ne se prononce pour aucun parti.

Nous terminerons cette notice de la presse périodique par un article de Robespierre sur la presse, moins intéressant pour le fond que parce qu'il est de lui. Nous le tirons du numéro VI des lettres à ses commettans.

Des papiers publics.

Citoyens, l'opinion est la reine du monde; comme toutes les reines, elle est courtisée et souvent trompée. Les députés visibles

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ont besoin de cette souveraine invisible, pour affermir leur propre puissance, et ils n'oublient rien pour faire sa conquête.

Le secret de la liberté est d'éclairer les hommes, comme celui de la tyrannie est de les retenir dans l'ignorance. Un peuple qui connaîtrait ses droits et ses intérêts, qui pourrait se former une idée juste des opérations de ses délégués, serait toujours bien gouverné, parce qu'il ne pourrait jamais être trompé. Aussi viton de tout temps ceux qui gouvernent attentifs à s'emparer des papiers publics et de tous les moyens de maîtriser l'opinion. C'est pour cela uniquement que le mot de gazette est devenu le synonyme de celui de roman, et que l'histoire elle-même est un roman. Le sort du peuple est à plaindre quand il est endoctriné précisément par ceux qui ont intérêt de le tromper, et que ses agens, devenus ses maîtres par le fait, se constituent encore ses précepteurs. C'est à peu près comme si un homme d'affaires était chargé d'apprendre l'arithmétique à celui qui doit vérifier ses comptes.

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› Le gouvernement ne se contente pas de prendre sur lui le soin d'instruire le peuple, il se le réserve comme un privilége exclusif, et persécute tous ceux qui osent entrer en concurrence avec lui. De là, les lois contre la liberté de la presse, toujours justifiées par le prétexte de l'intérêt public. On peut juger par là combien le mensonge a d'avantages sur la vérité. Le mensonge voyage aux frais du gouvernement; il vole sur l'aile des vents, il parcourt, en un clin d'oeil, l'étendue du plus vaste empire; il est à la fois dans les cités, dans les campagnes, dans les palais, dans les chaumières; il est bien logé, bien servi partout; on le comble de caresses, de faveurs et d'assignats. La vérité au contraire marche à pied et à pas lents; elle se traîne péniblement et à ses frais de ville en ville, de hameaux en hameaux; elle est obligée de se dérober aux regards jaloux du gouvernement; il ́ faut qu'elle évite à la fois les commis, les agens de la police et les juges; elle est odieuse à toutes les factions. Tous les préjugés et tous les vices s'ameutent autour d'elle pour l'outrager; la sottise la méconnaît ou la repousse. Quoiqu'elle brille d'une beauté cé

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