Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Que la roche où Saint-Preux contoit à Meillerie Les tourments de Vénus?

Je vous peignis aussi, chimère enchanteresse, Fictions des amours!

Aux tristes vérités le temps qui fuit sans cesse

Livre à présent mes jours.

L'histoire et le roman font deux parts de la vie,

Qui si tôt se ternit :

Le roman la commence, et lorsqu'elle est flétrie L'histoire la finit.

LE DÉPART.

Paris, 1827.

Compagnons détachez des voûtes du portique

Ces dons du voyageur, ce vêtement antique, Que j'avois consacrés aux dieux hospitaliers. Pour affermir mes pas dans ma course prochaine, Remettez dans ma main le vieil appui de chêne;

Qui reposoit à mes foyers.

Où vais-je aller mourir? dans les bois de Florides? Aux rives du Jourdain? Aux monts des Thébaïdes? Ou bien irai-je encore à ce bord renommé, Chez un peuple affranchi par les efforts du brave, Demander le sommeil que l'Eurotas esclave

M'offrit dans son lit embaumé?

Ah! qu'importe le lieu? Jamais un peu de terre,
Dans le champ du potier, sous l'arbre solitaire,
Ne peut manquer aux os du fils de l'étranger.
Nul ne rira du moins de ma mort advenue;
Du pèlerin assis sur ma tombe inconnue
Du moins le poids sera léger.

FIN DES POésies diverses.

MOISE,

TRAGÉDIE.

PRÉFACE.

[merged small][ocr errors]

Le passage de la mer Rouge accompli, Marie, prophétesse, sœur de Moïse et d'Aaron, chanta le cantique d'actions de grâces au Seigneur, qui avoit enseveli Pharaon et son armée dans les flots. Le peuple de Dieu entra dans la solitude de Sur, puis il vint à Mara, où Moïse adoucit les eaux amères. De Mara, les Israélites arrivèrent à Élim; il y avoit là douze fontaines. D'Élim ils passèrent à Sin; ils y murmurèrent contre Moïse et Aaron, regrettant l'abondance de la terre d'Égypte. Dieu envoya la manne qui tomboit le matin comme une rosée, et que l'on recueilloit chaque jour. Les Hébreux, partis de Sin, campèrent à Raphidim, où le peuple murmura de nouveau. Moïse, par l'ordre du Seigneur, frappa la pierre d'Oreb avec la verge dont il avoit frappé le Nil, et il en sortit de l'eau.

Les Amalécites vinrent à Raphidim attaquer Israël : ils descendoient d'Amalec, petit-fils d'Ésaü. Ésaü, fils d'Isaac, avoit été supplanté par son frère Jacob, auquel il avoit vendu son droit d'aînesse pour un plat de lentilles. Dans la suite, Dieu voulut que Saül exterminât la race entière des Amalécites.

Moïse brisa les Tables de la loi et le Veau d'or. Ensuite i

se tint à la porte du camp, et dit : « Si quelqu'un est au

[ocr errors]

Seigneur, qu'il se joigne à moi. » Et les enfants de Lévi s'assemblèrent autour de lui. Moïse ordonna à chacun d'eux de passer et de repasser au travers du camp, d'une tente à l'autre, et de tuer chacun son frère, son ami, et celui qui lui étoit le plus proche; et il y eut environ vingt-trois mille hommes de tués ce jour-là.

Nadab, fils d'Aaron, ayant offert un feu étranger au Seigneur, fut dévoré par le feu du ciel. Caleb et Josué furent les seuls des Hébreux sortis d'Égypte qui entrèrent dans la Terre-Promise; Moïse même n'y entra point, et ne la vit que du sommet du mont Abarim.

C'est de cette histoire que j'ai tiré le fond de la tragédie de Moïse. Le sujet de cefte tragédie est la première idolátrie des Hébreux, idolâtrie qui compromettoit les destinées de ce peuple et du monde. Je suppose que parmi les causes qui précipitèrent Israël dans le péché, il y en eut une principale. Ici même, dans l'invention, je reste encore fidèle à l'Histoire sainte; toute l'Écriture nous apprend que les Hébreux furent entraînés à l'idolâtrie par les femmes étrangères. Il suffit de citer l'exemple de Salomon « Le roi Salomon aima passionnément plusieurs « femmes étrangères.... Le Seigneur avoit dit aux enfants << d'Israël : Vous ne prendrez point des femmes de Moab << et d'Ammon, des femmes d'Idumée, des Sidoniennes et «< du pays Héthéen, car elles vous pervertiront le cœur « pour vous faire adorer leurs dieux... Salomon servoit «< Astarté, déesse des Sidoniens, et Moloch, l'idole des << Ammonites.... Il bâtit un temple à Chamos, l'idole des « Moabites. >>

Josué combattit les ennemis à Raphidim, et remporta la victoire. Moïse prioit sur le haut d'une colline, en tenant les mains élevées vers le ciel : Aaron et Hur lui soutenoient les mains des deux côtés, car Amalec avoit l'avanje tage lorsque les mains de Moïse s'abaissoient de lassitude.

:

De Raphidim, les Hébreux gagnèrent le désert de Sinaï. Moïse alla parler à Dieu, qui l'avoit appelé au haut de la montagne il étoit accompagné de Josué. Le troisième jour, on commença à entendre des tonnerres et à voir briller des éclairs. Une nuée très-épaisse couvrit la montagne; une trompette sonnoit avec grand bruit; Moïse par. loit à Dieu, et Dieu lui répondoit. Le Seigneur promulgua ses lois au milieu de la foudre; il donna à Moïse les deux tables du Témoignage, qui étoient de pierre, et écrites du doigt de Dieu. Moïse descendit de la montagne avec les tables. Josué ouït du tumulte dans le camp. Moïse reconnut que ce n'étoient point les voix confuses de gens qui poussoient leur ennemi, mais les voix de personnes qui chantoient.

Pendant l'absence de Moïse, le peuple s'étoit élevé contre Aaron, et lui avoit dit : « Faites-nous des dieux qui mara chent devant nous. » Un Veau d'or avoit été formé, et les Hébreux l'avoient adoré avec des chants et des danses.

CHATEAUBRIAND. -TOME V.

La tragédie apprendra aux lecteurs quelle est Arzane : ne sais si l'on a jamais remarqué que Judith, qui cause une si grande admiration aux soldats d'Holoferne, est le premier modèle de l'Armide du Tasse dans le camp de Godefroi de Bouillon. Arzane, reine des Amalécites, environnée de jeunes filles de Tyr et de Sidon, adorant Astarté et les divinités de la Syrie, m'a mis à même d'opposer des fables voluptueuses à la sévère religion des Hébreux. Les personnes versées dans la lecture des livres saints verront ce que j'en ai imité; elles auront lieu de le remarquer dans le rôle entier de Moïse et dans les chœurs. Le chant de la Courtisane, dans le chœur des Amalécites, est tiré du chapitre vn des Proverbes de Salomon, Viclimas pro salute vovi, hodie reddidi vota mea. Le choeur du troisième acte rappelle le xvin psaume, Cæli enarrant gloriam Dei, et le chœur du ive reproduit le cantique de Marie après le passage de la mer Rouge : Equum et ascensorem ejus dejecit in mare.

A Dieu ne plaise que je prétende un seul instant avoir soutenu l'éloquence de l'Écriture! je dis ce que j'ai tenté, non ce que j'ai fait. Racine, tout Racine qu'il étoit, a quel

33

quefois été vaincu dans ses efforts, comme l'a remarqué | scène; que le chœur du quatrième acte, groupé sur la

la Harpe. Qu'est-ce donc que moi, chétif, qui ai osé mettre en scène, non pas Joad, mais Moïse même, ce législateur aux rayons de feu sur le front, ce prophète qui délivroit Israël, frappoit l'Égypte, entr'ouvroit la mer, écrivoit l'histoire de la création, peignoit d'un mot la nais sance de la lumière, et parloit au Seigneur face à face, bouche à bouche: Ore ados loquor ei? (Num., cap. xш.) Le lieu de la scène est fixé dès les premiers vers de Moïse, l'exposition vient tout de suite après. Les trois unités sont observées, toutes les entrées et les sorties, motivées; enfin c'est un ouvrage strictement classique. L'auteur en demande de grandes excuses :

Pardonne à sa foiblesse en faveur de son age!

J'avois autrefois conçu le dessein de faire trois tragédies la première sur un sujet antique dans le système complet de la tragédie grecque; la seconde, sur un sujet emprunté de l'Écriture; la troisième, sur un sujet tiré de l'histoire des temps modernes.

Je n'ai exécuté mon dessein qu'en partie : j'ai le plan en prose et quelques scènes en vers de ma tragédie grecque, Astyanax. Saint Louis eût été le héros de ma tragédie romantique; je n'en ai rien écrit. Pour sujet de ma tragédie hébraïque, j'ai choisi Moïse. Cette tragédie en cinq actes, avec des choeurs, m'a coûté un long travail ; je n'ai cessé de la revoir et de la corriger depuis une vingtaine d'années. Le grand tragédien Talma, qui l'avoit lue, m'avoit donné d'excellents conseils, dont j'ai profité : il avoit à cœur de jouer le rôle de Moïse, et son incomparable talent pouvoit laisser la chance d'un succès.

La tragédie de Moïse appartenoit, par mon contrat de vente, aux propriétaires de mes œuvres; je ne m'étois réservé que le droit d'accorder ou de refuser la permission de la mise en scène. Je résistai longtemps aux sollicitations des propriétaires; mais enfin, soit foiblesse, soit mauvaise tentation d'auteur, je cédai. Moïse, lu au comité du Théâtre-François, en 1828, fut reçu à l'unanimité. M. le vicomte Sosthènes de la Rochefoucauld se prêta avec beaucoup de complaisance à tous les arrangements; M. Taylor s'occupa des ordres à donner pour les décorations et les costumes avec cet amour des arts qui le distingue; M. Halevy, dont le beau talent est si connu, se voulut bien charger d'écrire la musique nécessaire; et les chœurs de l'Opéra se devoient joindre à la ComédieFrançoise pour l'exécution de la pièce telle que je l'avois

conçue.

*Plusieurs personnes désiroient encore voir donner Moïse, afin d'essayer une diversion en faveur de cette pauvre école classique, si battue, si délaissée, à laquelle je devois bien quelque réparation, moi l'aïeul du romantique par mes enfants sans joug, Atala et René. Ces personnes espéroient quelque succès dans la pompe du spectacle de Moise, la multitude des personnages, le contraste des chœurs, la manière dont ces chœurs (marquant le midi, le coucher du soleil, le minuit, le lever du soleil) se trouvent liés à l'action. Je pense moi-même, et je puis le dire sans amour-propre, puisqu'il ne s'agit que d'un effet tout matériel indépendant du talent de l'auteur, je pense que la descente de Moïse du mont Sinaï, à la clarté de la lune, portant les Tables de la loi; que le choeur du troisième acte avec sa double musique, l'une lointaine dans le camp, l'autre grave et plaintive sur le devant de la

montagne au lever de l'aurore; que le dénoûment en action amené par le sacrifice; que les décorations représentant la mer Rouge au loin, le mont Sinai, le désert avec ses palmiers, ses nopals, ses aloès, le camp avec ses tentes noires, ses chameaux, ses onagres, ses dromadaires; je pense que cette variété de scène donneroit peut-être à Moïse un mouvement qui manque trop, il en faut convenir, à la tragédie classique. Une autre innovation que je conseillois pouvoit encore ajouter à cet intérêt de pure curiosité : selon moi, les chœurs doivent être déclamés et non chantés, soutenus seulement par une sorte de mélopée, et coupés par quelques morceaux d'ensemble de peu de longueur : autrement vous mêlez deux arts qui se nuisent, la musique à la poésie, l'opéra à la tragédie. Ainsi, par exemple, la prière du troisième chœur,

N'écoute point dans ta colère,
O Dieu, le cri de ces infortunés!

me sembleroit d'un meilleur effet débité que chanté.

Quoi qu'il en soit de mes foiblesses et de mes rêves, aussitôt que l'on sut que Moïse alloit être joué, des représentations m'arrivèrent de toutes parts : les uns avoient la bonté de me croire un trop grand personnage pour m'exposer aux sifflets; les autres pensoient que j'allois gåter ma vie politique et interrompre en même temps la carrière de tous les hommes qui marchoient avec moi. Quand j'aurois fait Athalie, le temps étoit-il propre aux ouvrages de cette nature, aux ouvrages entachés de classique et de religion? Le public ne vouloit plus que de violentes émotions, que des bouleversements d'unités, des changements de lieux, des entassements d'années, des surprises, des effets inattendus, des coups de théâtre et de poignard. Que seroit-ce donc si, menacé même pour un chef-d'œuvre, je n'avois fait (ce qui étoit possible et même extrêmement probable) qu'une pièce insipide? car enfin, puisque j'écrivois passablement en prose, n'étoit-il pas évident que je devois être un très-méchant poëte? Les considérations qui ne s'appliquoient qu'à moi m'auroient peu touché je n'avois aucune envie d'être président du conseil, et la liberté de la presse m'avoit aguerri contre les sifflets; mais quand je vis que d'autres destinées se croyoient liées à la mienne, je n'hésitai pas à retirer ma pièce si je fais toujours bon marché de ma personne, je n'exposerai jamais celle de mes voisins.

:

La fortune, qui s'est constamment jouée de mes projets, n'a pas même voulu me passer une dernière fantaisie littéraire. Je ne puis plus attendre une occasion incertaine et éloignée de voir jouer Moise. Que de trônes auront croulé avant qu'on soit disposé à s'enquérir comment Nadab prétendoit élever le sien! Moïse ne m'appartient pas; il a dû entrer dans la collection de mes œuvres, qu'il étoit plus que temps de compléter. On lira donc cette tragédie, si on la lit, dans la solitude et le silence du cabinet, au lieu de la voir environnée des prestiges et du bruit du théâtre; c'est la mettre à une rude épreuve : si elle étoit jouée après avoir été imprimée, elle auroit perdu son plus puissant et peut-être son seul attrait, la nouveauté.

[blocks in formation]

Le théâtre représente le désert de Sinai. On voit à droite le camp des douze tribus, dont les tentes, faites de peaux de brebis noires, sont entremêlées de troupeaux de chameaux, de dromadaires, d'onagres, de cavales, de moutons et de chèvres; on voit à gauche le rocher d'Oreb frappé par Moïse, et d'ou sort une source; quelques palmiers; sous ces palmiers le cercueil ou le tombeau de Joseph, déposé sur des pierres qui lui servent d'estrade. Le fond du théatre offre de vastes plaines de sable, parsemées de buissons de nopals et d'aloès, terminées d'un côté par la mer Rouge, et de l'autre par les monts Oreb et Sinal, dont les croupes viennent border l'avant-scène.

Ou donne-moi ton charme ou ta robe innocente! De Joseph retrouvé je n'ai point la grandeur, Mais de Joseph perdu j'ai l'âge et le malheur. SCÈNE II.

AARON, DATHAN.

AARON, appelant Nadab qui s'éloigne, et disparoit sous les palmiers.

Nadab! Il n'entend point! Dans sa mélancolie
Son âme est à présent toujours ensevelie.
O mon cher fils! reçois mes bénédictions:
Tes maux doublent le poids de mes afflictions:
Mes jours ont été courts et mauvais sur la terre,
Et n'ont point égalé ceux d'Isaac mon père.
Nadab, que l'Éternel prenne pitié de toi!

DATHAN.

Sur le sort des Hébreux, Aaron, éclairez-moi. Par Moïse envoyé vers le Madianite,

La scène est sous les palmiers, près de la source, à la tête du Depuis trois mois sorti du camp israélite,

camp.

ACTE PREMIER.

SÈNE PREMIÈRE.

NADAB, seul.

(Il regarde quelque temps autour de lui, comme pour réconnoftre les lieux où il se trouve.)

A la porte du camp, sous ces palmiers antiques
Où des vieillards hébreux les sentences publiques
Des diverses tribus terminent les débats,
Par quel nouveau sentier ai-je égaré mes pas?
(Après un moment de silence, en s'avançant sur la scène.)
Silencieux abris, profonde solitude,

Ne pouvez-vous calmer ma noire inquiétude?
Soulève enfin, Nadab, ton ceil appesanti;
Vois les fils de Jacob au pied du Sinaï,
Le désert éclatant de miracles sans nombre,
La colonne à la fois et lumineuse et sombre,
L'eau sortant du rocher, des signes dans les airs,
Dieu prêt à nous parler du milieu des éclairs :
Prétends-tu, sourd au bruit de la foudre qui gronde,
Coupable fils d'Aaron, changer le sort du monde?
Mais que te fait, Nadab, le Seigneur et sa loi?
Le monde et les Hébreux ne sont plus rien pour toi.
(Il s'approche du cercueil de Joseph.)
Ma main aux bords du Nil déroba cette cendre;
Je pouvois sans rougir alors m'en faire entendre.
O Joseph, fils aimé, qui dors dans ce tombeau,
A l'épouse du roi toi qui parus si beau, [sante,
Rends mon cœur moins ardent où ma voix plus puis-

Je trouve à mon retour le peuple menaçant,
L'Iduméen détruit et le prophète absent;
J'ignore également nos maux et notre gloire :
Daignerez-vous, Aaron, m'en raconter l'histoire?

AARON.

Dathan, cher compagnon que regrettoit mon fils,
Quand Israël, fuyant les princes de Memphis,
Eut franchi de la mer les ondes divisées,
Nos tribus, par le ciel toujours favorisées,
En suivant du désert le merveilleux chemin,
Non loin du Sinaï s'arrêtèrent enfin.

Ce fut là qu'Amalec, à sa haine fidèle,
Nous chercha pour vider son antique querelle.
Thémar régnoit alors sur ce peuple nombreux;
Il vint à Raphidim attaquer les Hébreux.
Aux autels d'Adonis son épouse attachée,
Méprisant du fuseau la gloire humble et cachée,
Arzane, dans l'orgueil de toute sa beauté,
Presse, anime Thémar, et marche à son côté :
De sa main au vainqueur une palme est promise.
La trompette a sonné, les traits sifflent: Moïse,
Sur un mont à l'écart, debout, les bras levés,
Prioit le Dieu par qui les flots sont soulevés.
Ses redoutables bras, étendus sur nos têtes,
Paroissoient dans le ciel assembler les tempêtes :
Quand il les abaissoit, de fatigue vaincu,
Amalec triomphoit d'Israël abattu;
Mais quand ses bras au ciel reportoient sa prière,
Nos plus fiers ennemis rouloient sur la poussière.
Soutenant dans les airs ce bras fort et puissant,
Qui sans pórter de coups versoit des flots de sang,
J'achevai parmi nous de fixer la victoire.
Un seul jour vit périr Thémar et sa mémoire :
Sa veuve, à des dieux sourds ayant ses vœux offerts
N'en fut pas entendue, et tomba dans nos fers.

DATHAN.

Je ne vois jusqu'ici que d'heureuses prémices.

AARON.

Écoute. Après avoir réglé les sacrifices,
Mon frère, qu'en secret appelle l'Éternel,
Moïse se dérobe aux regards d'Israël,
Il monte au Sinaï; Josué l'accompagne :
Depuis quarante jours caché sur la montagne,
Mille bruits de sa mort dans le camp répandus
Tiennent de nos vieillards les esprits suspendus.
On s'agite au milieu du peuple qui murmure;
Je ne sais quel démon souffle une flamme impure;
Le soldat se soulève, et proclame en ce lieu
Et Nadab pour son chef et Baal pour son dieu.

DATHAN.

Nadab accepte-t-il cet honneur populaire?

AARON.

De ses mâles vertus rejetant le salaire,

Mon fils porte en son sein un trait qu'il veut cacher,
Et que toi seul, Dathan, tu pourras arracher.
Pâle et silencieux dans sa marche pensive,

Il erre autour du camp comme une ombre plaintive;
Il prononce tout bas le nom de ses aïeux;
Son regard languissant se tourne vers les cieux :
La nuit, à sa douleur se livrant sans obstacles,
On l'a trouvé pleurant auprès des tabernacles.
Mais j'aperçois Caleb, ce flambeau de la loi,
Et ma sœur, dont les chants raniment notre foi.
Dathan, cherche Nadab, et dis-lui que son père
L'attend ici.

SCÈNE III.

AARON, MARIE, CALEB.

AARON, à Marie.

Marie, en qui Jacob espère, Dans vos yeux attristés quels malheurs ai-je lus? Qu'allez-vous m'annoncer?

MARIE.

[blocks in formation]

Eh quoi ! le fils d'Aaron tient un pareil langage!
A rester dans ces lieux c'est lui qui nous engage!
Ami, si nous perdons notre libérateur,

Notre frère n'est plus! Toi, sorti de son sang, sois notre conducteur :
Atteins, perce et détruis cette race proscrite,
Dont au livre éternel la ruine est écrite.

Josué, de Moïse héritier prophétique,
De même a disparu sur la montagne antique :
Ils n'ont pu sans mourir contempler Jéhovah.
Comme ils prioient, dit-on, au sommet du Sina,
Du Seigneur à leur voix la gloire est descendue,
Dans une ombre effrayante, au milieu d'une nue;
La nue en s'entr'ouvrant les a couverts de feux,
Et le ciel tout à coup s'est refermé sur eux;
Ils sont morts consumés.

AARON.

O ma sœur, ô Marie!
O promesse du ciel ! ô future patrie!
Par qui du saint prophète a-t-on su le trépas?

MARIE.

Par les chefs envoyés pour découvrir ses pas.

NADAB.

Je laisse à ta valeur ces sanglants embarras.

CALEB.

Ah! je sais quelle main a désarmé ton bras.
Le conseil de nos chefs, par qui tout se décide,
Dira s'il faut sauver une race homicide,
Qui jusque dans ce camp, avec un art fatal,
Introduit et répand le culte de Baal.

NADAB.

Charitable Caleb, sont-ce là les cantiques
Que du temple promis rediront les portiques?
Sur un autel de paix, au Dieu que tu défends,
Tu veux donc immoler des femmes, des enfants?

« AnteriorContinuar »