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nous écarter en rien de la justice et de la raison. Telle est et telle sera désormais la seule politique de la République française. Je ne sais si c'est celle de toutes les cours; mais au moins espérons-nous qu'elle nous conciliera la bienveillance des nations.

» Au reste, citoyen, il importe que les principes développés dans cette dépêche soient connus dans le pays où vous êtes. Vous leur donnerez donc sans crainte la plus grande publicité; vous pouvez même lire la lettre entière aux personnes à qui vous jugerez utile d'en donner une connaissance particulière. »

Après avoir donné ces nouvelles explications sur les vues amicales et désintéressées de la République française, le conseil exécutif crut devoir informer la Convention nationale de sa situation à l'égard de l'Angleterre. En conséquence le ministre des affaires étrangères fit à la Convention le rapport suivant.

Lebrun, ministre des affaires étrangères, au président de la Convention nationale.

Paris, le 20 décembre 1792.

« Le parlement britannique, qui avait été prorogé jusqu'au mois de janvier, vient d'être inopinément rassemblé, et l'ouverture de sa session a eu lieu le 14 de ce mois. Cette mesure extraordinaire doit naturellement éveiller l'attention du gouvernement français sur ses causes et ses résultats ; il est de mon devoir de ne point laisser ignorer à la Convention nationale ce que j'en ai pu découvrir.

» Peu après l'immortelle journée du ro août, et le changement introduit pour lors dans la forme de notre gouvernement, il a plu au ministère anglais de cesser toute communication officielle avec nous et de rappeler son ambassadeur, soit parce qu'il était persuadé que les jours de contre-révolution et de notre esclavage étaient proches, soit seulement, comme l'a dit ingénieusement le célèbre orateur de l'opposition dans la première séance des communes, parce qu'il crut indécent et indigne de la majesté royale britannique d'avoir un représentant auprès d'un conseil exécutif dont les membres n'ont pas été oints de la sainte ampoule au maître autel de Reims.

>>

Quoi qu'il en puisse être, le conseil exécutif provisoire n'a pas cru devoir suivre le même procédé : il a continué d'entretenir à Londres un ministre de la République française, et il l'a expressément chargé de saisir toutes occasions pour assurer la nation anglaise que, malgré la mauvaise humeur de son gouvernement, le peuple français ne désire rien plus ardemment

que de mériter son estime, et de resserrer la bonne harmonie et l'amitié qui doivent unir à jamais deux nations généreuses et libres.

» La Convention nationale a reçu à diverses reprises des témoignages éclatans de la réciprocité de cette bienveillance, et de la part sincère que le peuple anglais prenait au succès de nos armes et au triomphe de la liberté française.

"} Mais ces mêmes événemens glorieux agissaient dans un sens très opposé sur le ministère de Saint-James. Bientôt la crainte ou la jalousie de nos victoires, les sollicitations de nos lâches rebelles, les viles intrigues des cours ennemies, et un secret ombrage que lui inspiraient les nombreuses adresses de félicitations qui nous venaient de toutes les parties de l'Angleterre, le décidèrent à des mouvemens militaires plus prononcés, et à un prompt rassemblement du parlement.

» La Convention nationale verra par les discours d'ouverture que les mesures hostiles, ayant pour but principal et ostensible de s'opposer à la fermentation populaire qui s'est manifestée depuis quelque temps en Angleterre, sont aussi jusqu'à un certain point dirigées contre la France : c'est ce qu'annoncent plusieurs inculpations dont on ne peut méconnaître l'application, malgré le vague dans lequel on les a présentées.

>>

» Quand le moment sera venu de répondre à ces inculpations il sera facile au gouvernement français de se justifier pleinement; il ne craindra pas d'en appeler au jugement de l'Europe entière, au témoignage de Pitt lui-même. On verra alors qui l'on doit accuser d'avoir semé avec un or corrupteur les méfiances, les troubles et le désordre.

>> Certes si les agens, même non accrédités, que nous entretenons en Angleterre avaient pu être légitimement soupçonnés de ces manœuvres, qui n'appartiennent qu'à la faiblesse ; si leur conduite n'avait pas été tout à la fois circonspecte et loyale, d'autres membres du ministère anglais n'auraient pas désiré de les voir confidentiellement, de communiquer avec eux, de leur accorder des conférences secrètes.

>> Je mettrai sous les yeux des comités qu'il plaira à la Convention nationale d'indiquer les détails exacts de ces conférences, les plaintes, les objections, les réponses, les offres et propositions qu'on s'y est faites réciproquement, les instructions qui ont été données à nos agens dans ces circonstances délicates, enfin l'état des armemens qui ont été ordonnés.

» Il en résulte que jusqu'ici ces armemens n'ont rien qui doive nous alarmer, puisqu'ils n'excèdent que de quatre vaisseaux de ligne ceux qui ont eu lieu dans les années précédentes; puisque, sur seize vaisseaux en armement, il y en a au moins

dix connus sous la dénomination de garde-côtes, c'est à dire les plus vieux et détériorés de la marine anglaise; puisqu'enfin le roi a déclaré que ces armemens ne nécessiteraient aucun impôt extraordinaire, et qu'il suffirait pour y subvenir des fonds destinés à l'amortissement annuel de la dette nationale.

>> Il en résulte encore que les griefs qui servent de prétexte à ces armemens se réduisent à trois principaux, savoir : n 1°. L'ouverture de l'Escaut ;

» 2°. Votre décret du 19 novembre;

» 3°. Les intentions que l'on suppose à la république française relativement à la Hollande.

>> On a répondu sur le premier point par des argumens fondés sur le droit de la nature, sur le droit des gens, sur tous les principes de justice et de liberté que la nation française a consacrés, et dont elle ne pouvait refuser aux Belges la jouissance pleine et entière; on a répondu que des traités arrachés par la cupidité, consentis par le despotisme, ne pouvaient lier les Belges affranchis et libres; on a répondu par le silence que l'Angleterre elle-même avait gardé, en 1784 et 1785, lorsque la même question a été agitée hostilement par l'empereur Joseph II.

» On a répondu au second grief par l'exposition franche des véritables intentions qui animaient la Convention nationale lorsqu'elle a rendu ce décret bienfaisant. Il est deux cas bien distincts où ce décret peut et doit trouver son application, soit envers les peuples qui sont sous la domination des puissances avec lesquelles nous sommes en guerre, soit par rapport aux pays gouvernés par des puissances absolument neutres. Il ne peut y avoir de difficultés dans le premier cas; le décret y trouve son application directe et dans la plus grande latitude, sans qu'aucune puissance étrangère puisse le trouver mauvais. Dans la seconde hypothèse il est clair que l'intention de la Convention nationale n'a jamais été de s'engager à faire de la cause de quelques individus étrangers la cause de toute la nation française; mais lorsqu'un peuple asservi par un despote aura le courage de briser ses fers, lorsque ce peuple, rendu à la liberté, se sera constitué de manière à faire entendre clairement l'expression de la volonté générale, lorsque cette volonté générale appellera sur lui l'assistance et la fraternité de la nation française, c'est alors que le décret du 19 novembre trouve une application si naturelle que nous doutons qu'elle puisse paraître étrange à personne; c'est alors que nous donnons à la nation nouvellement libre un appui que nous-mêmes aurions désiré, et que peut-être nous aurions dû espérer de trouver chez une autre nation libre.

» On a ajouté à cette réponse générale une observation qui a plus particulièrement rapport au reproche qu'on nous fait à l'égard de la Hollande; c'est qu'il serait à désirer que jamais le ministère britannique ne se fût plus mêlé du gouvernement intérieur de cette république, qu'il a aidé à asservir, que nous

ne voulons nous en mêler nous-mêmes.

» Du reste, citoyen président, j'ai chargé en dernier lieu le ministre de la République française à Londres de demander une nouvelle conférence à lord Grenville, qui a dans le pays le département des affaires étrangères, et, après lui avoir rappelé toute la futilité des griefs qu'on veut nous opposer, je l'ai autorisé à lui déclarer au nom de la république française que si contre toute attente l'intention du ministère de Saint-James était d'amener une rupture à tout prix, comme alors nous aurions épuisé toutes les explications propres à démontrer la pureté de nos vues et notre respect pour l'indépendance des autres puissances, comme il serait évident que cette guerre ne serait plus qu'une guerre du seul ministère britannique contre nous, nous ne manquerions pas de faire un appel solennel à la nation anglaise; que nous porterions au tribunal de sa justice et de sa générosité l'examen d'une cause dans laquelle on verrait une grande nation soutenir les droits de la nature, de la justice, de la liberté, de l'égalité, contre un ministère qui n'aurait engagé cette querelle que par des motifs de pure convenance personnelle; qu'enfin nous établirions la nation anglaise juge entre nous et lui, et que l'examen de ce procès pourrait amener des suites qu'il n'aurait pas prévues.

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J'attends, citoyen président, le résultat qu'aura eu cette déclaration, et je m'empresserai d'en faire part à la Convention nationale. »

Le citoyen Chauvelin ne négligea pas de son côté tous les moyens qui pouvaient se concilier avec la dignité de sa nation pour en venir à une explication franche et amicale avec le ninistère britannique. Le 26 décembre il écrivit à M. Pitt la lettre dont nous joignons ici la copie.

Copie d'une lettre écrite par le c.toyen Chauvelin à M. Pitt.

« Monsieur, j'ai reçu il y a quatre jours une lettre, datée du 15 décembre, du ministre des affaires étrangères de France, qui, ne faisant aucun doute que dans les circonstances actuelles vous n'ayez déjà jugé utile de me voir depuis que M. Maret a eu l'honneur de vous dire que j'étais chargé par le gouvernement français d'instructions propres à prévenir les malheurs d'une guerre, ajoutait encore à ses instructions, et me recom

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mandait de rechercher avec vous, monsieur, une seconde entrevue. J'ai balancé jusqu'à ce moment à vous prévenir, monsieur, parce que j'aurais voulu recevoir des ordres qui m'y eussent plus particulièrement autorisé; mais le temps s'écoule et se perd pour les deux pays, en les laissant à l'égard l'un de l'autre dans une position douteuse, pénible et indigne de tous les deux, et je suis assuré de ne pouvoir suivre plus exactement l'esprit des instructions que j'ai reçues qu'en multipliant toutes les démarches qui vous prouveront le plus, monsieur, ce dont la nation française voudra convaincre l'Europe entière; c'est qu'elle déteste l'idée d'une guerre avec l'Angleterre, qu'elle ne l'acceptera qu'à regret, et après avoir épuisé tous les moyens honorables qu'on lui aura laissés pour l'éviter.

>> J'attendrai votre réponse, monsieur, et je me rendrai chez vous à l'instant que vous voudrez bien m'indiquer.

» Voulez-vous bien recevoir en attendant les assurances de la considération distinguée et de la haute estime avec lesquelles j'ai l'honneur d'être, monsieur, votre très humble et très obéis sant serviteur, F. CHAUVELIN.

» Portman-Square, ce 26 décembre 1792, l'an 1er de la Répu blique. »

Le lendemain il adressa à lord Grenville la note suivante :

Copie de la note envoyée par le citoyen Chauvelin à lord Grenville le 27 décembre 1792, l'an 1o1 de la République.

« Le soussigné, ministre plénipotentiaire de France, a l'honneur de faire part à lord Grenville des instructions qu'il a reçues du conseil exécutif de la République française, avec ordre de les mettre sous les yeux du secrétaire d'état au département des affaires étrangères de sa majesté britannique dans le cas où il croirait ne pouvoir pas obtenir assez promptement une entrevue avec ce ministre.

» Le gouvernement français, en continuant, depuis l'époque du rappel de lord Gower de Paris, de laisser à Londres son ministre plénipotentiaire, a cru donner à sa majesté britannique une preuve non équivoque du désir qu'il avait de coutinuer à vivre en bonne intelligence avec elle, et de voir se dissiper tous les nuages que des événemens nécessaires et inhérens au régime intérieur de la France paraissaient alors avoir fait naître. Les intentions du conseil exécutif de France à l'égard de l'Angleterre n'ont pas cessé d'être les mêmes; mais il n'a pu voir avec indifférence la conduite publique que le ministère britannique tient actuellement envers la France : c'est à regret qu'il a reconnu dans cette conduite les caractères d'une malveillance à laquelle

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