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Les sentimens de la nation française envers les Anglais se sont manifestés pendant tout le cours de la révolution d'une manière si constante, si unanime, qu'il ne peut pas rester le moindre doute sur l'estime qu'elle leur a vouée et sur son désir de les avoir pour amis; ce n'est donc qu'avec une extrême répugnance que la République se verrait forcée à une rupture beaucoup plus contraire encore à son inclination qu'à son intérêt propre.

» Pour prévenir une si fâcheuse extrémité des explications sont nécessaires, et l'objet en est d'une si haute importance que le conseil n'a pas cru pouvoir les confier au ministère perpétuellement désavouable d'un agent secret. Voilà pourquoi il a jugé qu'il convenait sous tous les rapports d'en charger le citoyen Chauvelin, quoiqu'il ne soit accrédité auprès de sa majesté britannique que de la part du ci-devant roi. L'opinion du conseil exécutif en cette occasion était justifiée par la manière dont se traitaient dans le même temps nos négociations en Espagne, où le citoyen Bourgoing se trouvait précisément dans la même position que le citoyen Chauvelin à Londres, ce qui n'a point empêché le ministère du roi catholique de traiter et de conclure avec lui une convention de neutralité dont la déclaration doit être échangée à Paris entre le ministre des affaires étrangères et le chargé d'affaires d'Espagne : nous ajouterons même que le premier ministre de sa majesté catholique, en écrivant officiellement à ce sujet au citoyen Bourgoing, n'a pas oublié de lui donner sa qualité de ministre plénipotentiaire de France. L'exemple d'une puissance du premier ordre, telle qu'est l'Espagne, a pu conduire le conseil exécutif à espérer que nous trouverions les mêmes facilités à Londres.

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Cependant le conseil exécutif reconnaît sans peine que cette marche de négociation n'a pas toute la rigueur diplomatique, que le citoyen Chauvelin n'est point assez régulièrement autorisé. Pour lever entièrement cet obstacle, pour n'avoir point à se reprocher d'avoir arrêté par un simple défaut de forme une négociation du succès de laquelle dépend la tranquillité de deux grandes nations, il a pris le parti d'envoyer au citoyen Chauvelin des lettres de créance, qui lui fourniront les moyens de traiter dans toute la sévérité des formes diplomatiques.

>> Pour en venir maintenant aux trois points qui seuls peuvent former un objet de difficulté auprès de la cour de Londres, le conseil exécutif observe sur le premier, c'est à dire sur le décret du 19 novembre, que nous n'avons pas été compris par le ministère de sa majesté britannique lorsqu'il nous accuse d'avoir donné une «< explication qui annonce aux séditieux de toutes les nations quels sont les cas dans lesquels ils peuvent compter » d'avance sur l'appui et le secours de la France. » Rien ne

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saurait être plus étranger que ce reproche aux sentimens de la Convention nationale et à l'explication que nous en avons donnée, et nous ne pensions pas qu'il fût possible de nous imputer le dessein ouvert de favoriser les séditieux au moment même où pous déclarons « qu'on ferait injure à la Convention nationale » si on lui prêtait le projet de protéger les émeutes, les mou» vemens séditieux qui peuvent s'élever dans quelque coin d'un état, de s'associer à leurs auteurs, et de faire ainsi de la cause » de quelques particuliers celle de toute la nation française. » Nous avons dit, et nous aimons à le répéter, que le décret du 19 novembre ne pouvait avoir son application que dans le seul cas où la volonté générale d'une nation, exprimée clairement et sans équivoque, appellerait l'assistance et la fraternité de la nation française: certes la sédition ne peut jamais être là où se trouve l'expression de la volonté générale ; ces deux idées s'excluent mutuellement, car une sédition n'est et ne peut être que le mouvement du petit nombre contre la généralité de la nation, et ce mouvement cesserait d'être séditieux si tous les membres d'une société se levaient à la fois soit pour corriger leur gouvernement, soit pour en changer entièrement la forme, soit pour tout autre objet. Les Hollandais n'étaient assurément pas des séditieux lorsqu'ils prirent la résolution généreuse de se soustraire au joug espagnol, et lorsque la volonté générale de cette nation appela l'assistance de la France on ne fit point un crime à Henri IV de l'avoir écoutée, non plus qu'à la reine Elisabeth. La reconnaissance de la volonté générale est la seule base des transactions des nations entre elles, et nous ne pouvons traiter avec un gouvernement quelconque que parce que ce gouvernement est censé l'organe de la volonté générale de la nation à laquelle il appartient. Ainsi lorsque par cette interprétation naturelle le décret du 19 novembre est réduit à ce qu'il signifie véritablement, il se trouve qu'il n'énonce plus qu'un acte de la volonté générale au-dessus de toute contestation, et qu'il est tellement fondé en droit que ce n'était presque pas la peine de l'exprimer, Par cette raison le conseil exécutif pense que l'évidence de ce droit aurait peut-être pu dispenser la Convention nationale d'en faire l'objet d'un décret particulier; mais avec l'interprétation qui précède il ne peut être inquiétant pour aucune nation.

» Il paraît que le ministère de S. M. B. n'a rien à objecter sur la déclaration relative à la Hollande, puisque la seule observation qu'il fait à ce sujet appartient à la discussion sur l'Escaut.

>> C'est donc ce dernier point sur lequel il s'agit de s'entendre. Nous le répétons, cette question en elle-même est de peu d'im

portance. Le ministère britannique en conclut « qu'il n'en est » que plus évident qu'elle n'a été mise en avant qu'avec le » dessein d'outrager les alliés de l'Angleterre, etc. »> Nous répondrous avec beaucoup moins de chaleur et de prévention que cette question est absolument indifférente à l'Angleterre, qu'elle est d'un intérêt fort médiocre pour la Hollande, mais qu'elle est très importante pour les Belges indifférente pour l'Angleterre, c'est ce qui n'a pas même besoin de preuve ; d'un intérêt médiocre pour la Hollande, puisque les productions des Belges s'écoulent également par les canaux qui aboutissent à Ostende; d'une grande importance pour les Belges, par les nombreux avantages que leur présenterait le port d'Anvers, etc., etc. C'est donc à raison de cette importance, c'est pour faire rentrer les Belges dans la jouissance d'un droit précieux, et non pour offenser personne, que la France a déclaré qu'elle était prête à les soutenir dans l'exercice d'un droit si légitime. Mais la France est-elle autorisée à rompre les stipulations qui s'opposent à la liberté de l'Escaut? Si on consulte le droit de la nature et celui des gens, non pas la France, mais toutes les nations de l'Europe y sont autorisées; nul doute sur cela.

» Si l'on consulte le droit public nous dirons qu'il ne doit jamais être que l'application des principes du droit général des nations aux circonstances particulières dans lesquelles se trouvent les nations les unes par rapport aux autres, en sorte que tout traité particulier qui blesserait ces principes ne pourrait jamais être regardé que comme l'ouvrage de la violence.

» Nous ajouterons ensuite que, par rapport à l'Escaut, ce traité fut conclu sans la participation des Belges. L'empereur, pour s'assurer la possession des Pays-Bas, sacrifia sans scrupule le plus inviolable des droits; maître de ces belles provinces, il les gouverna, comme l'Europe l'a vu, avec la verge du despotisme absolu, ne respecta que ceux de leurs privileges qu'il lui importait de conserver, ou détruisit et combattit perpétuellement les autres. La France entre en guerre avec la maison d'Autriche, l'expulse des Pays-Bas, et rappelle à la liberté ces peuples, que la cour de Vienne avait voués à l'esclavage. Leurs fers sont rompus; ils rentrent dans tous les droits que la maison d'Autriche leur avait enlevés : comment celui qu'ils avaient sur l'Escaut serait-il excepté, surtout lorsque ce droit n'est véritablement important que pour celui qui en est privé?

» Au reste la France a une trop belle profession de foi politique à faire pour craindre d'en avouer les principes. Le conseil exécutif déclare donc, nou pas pour paraître céder à quelques expressions d'un langage menaçant, mais seulement pour rendre hommage à la vérité, que la République française n'entend

point s'ériger en arbitre universel des traités qui lient les nations entre elles; elle saura respecter les autres gouverneniens comme elle se charge du soin de faire respecter le sieu propre; elle ne veut faire la loi à personne, et ne souffrira jamais que personne la lui fasse. Elle a renoncé et renonce encore à toute conquête, et l'occupation des Pays-Bas n'aura de durée que celle de la guerre, et le temps qu'il sera nécessaire aux Belges pour assurer et consolider leur liberté; après quoi, qu'ils soient indépen-dans et heureux, la France trouvera sa récompense dans leur. bonheur.

>> Lorsque cette nation se trouvera en pleine jouissance de sa liberté, lorsque sa volonté générale pourra s'énoncer légalement et sans entraves, qu'alors, si l'Angleterre et la Hollande attachent encore quelque importance à l'ouverture de l'Escaut, elles remettent cette affaire en négociation directe avec la Belgique; si les Belges, par quelque motif que ce puisse être, consentent à se priver de la navigation de l'Escaut, la France ne s'y opposera pas, et saura respecter leur indépendance jusque dans leurs erreurs.

>>

Après une explication aussi franche, dictée par un désir aussi pur de la paix, il ne devrait rester au ministère britannique aucun nuage sur les intentions de la France; mais si ces explications lui paraissent insuffisantes, si nous sommes encore obligés d'entendre le langage de la hauteur, si les préparatifs hostiles se continuent dans les ports de l'Angleterre, après avoir tout épuisé pour le maintien de la paix, nous nous disposerons à la guerre, avec le sentiment du moins de la justice de notre cause et des efforts que nous aurons faits pour éviter cette extrémité, et nous combattrons à regret les Anglais, que nous estimons, mais nous les combattrons sans crainte. »>

Cette pièce, qui répondait à toutes les difficultés qui s'étaient élevées, ne produisit aucun effet sur un cabinet qui était déterminé à se refuser à la conviction. On peut en juger par réponse suivante de lord Grenville.

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Copie de la réponse de lord Grenville à la pièce en date du 8 janvier, qui lui a été transmise le 13 par le citoyen Chauvelin de la part du conseil exécutif.

« J'ai examiné, monsieur, avec la plus grande attention, le papier que vous m'avez remis le 13 de ce mois. Je ne puis vous dissimuler que je n'ai rien trouvé de satisfaisant dans le résultat de cette pièce les explications qu'elle renferme se réduisent à peu près aux mêmes points auxquels j'ai déjà répondu en détail. La déclaration de youloir intervenir dans les affaires intérieures des autres pays y est renouvelée ; il n'y est question ni de désa

veu ni de réparation pour les mesures offensantes dont je vous ai parlé dans ma lettre du 31 décembre, et on s'y réserve encore le droit d'enfreindre les traités et de violer les droits de nos alliés, en offrant seulement sur ce sujet une négociation illusoire, qu'on remet, aussi bien que l'évacuation des Pays-Bas par les armées françaises, au terme indéfini, non seulement de la mais aussi de la consolidation de ce qu'on nomme la guerre, liberté des Belges.

» On ajoute que « si ces explications nous paraissent insuffi» santes, si vous êtes encore obligés d'entendre le langage de » la hauteur, si les préparatifs hostiles se continuent dans les ports de l'Angleterre, après avoir tout épuisé pour la paix vous vous disposerez à la guerre. »

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>> Si cette notification, ou celle relative au traité de commerce, m'avait été faite dans une forme régulière et officielle, je me serais trouvé dans la nécessité d'y répondre qu'on menace de déclarer la guerre à l'Angleterre parce qu'elle juge à propos d'augmenter ses forces, aussi bien qu'une déclaration de rompre un traité solennel parce que l'Angleterre a adopté pour sa propre sûreté des précautions du même genre que celles qui existaient déjà en France; elles ne pourraient être considérées l'une et l'autre que comme de nouvelles offenses, qui tant qu'elles subsisteraient fermeraient la voie à toute négociation.

» Dans cette forme de communication non officielle je trouve qu'il peut m'être encore permis de vous dire, non pas avec hauteur, mais aussi sans détour, qu'on ne trouve pas ces explications suffisantes, et que toutes les raisons qui ont motivé nos préparatifs subsistent encore. Ces raisons je vous les ai déjà fait connaître par ma lettre du 31 décembre, où j'ai marqué en termes précis quelles dispositions pouvaient seules contribuer au maintien de la paix et de la bonne intelligence. Je ne crois pas qu'il puisse être utile à l'objet de conciliation de continuer à discuter avec vous dans cette forme quelques points séparés sur lesquels je vous ai déjà fait connaître nos sentimens. Si vous aviez quelques explications à me donner dans la même forme, qui embrasseraient tous les objets dont je vous ai parlé dans ma lettre du 31 décembre, et toutes les circonstances de la crise actuelle relativement à l'Angleterre, à ses alliés, et au système général de l'Europe, je m'y prêterai encore volontiers.

» Je crois cependant devoir, en réponse à ce que vous me dites au sujet de nos préparatifs, vous informer dans les termes les plus exprès que dans les circonstances actuelles on persistera ici dans toutes les mesures qu'on jugera convenables pour se mettre en état de protéger la sûreté, la tranquillité et les droits de ce pays, de garantir ceux de nos alliés, et d'opposer

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