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premières minutes elle a fait trembler l'Europe, elle a rendu l'espoir à la masse des bons citoyens, elle a paralysé les ennemis de la liberté : l'ordre a reparu.

L'abolition de la royauté en France est proclamée devant des rois vainqueurs.

La République est fondée sur les débris d'un trône que l'Europe en armes a juré de relever.

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Enfin un roi est jugé par ceux mêmes qu'il nomme encore ses sujets, et à la vue des potentats accourus pour le défendre. Ces grandes délibérations, qui ont révélé « le plus incon» cevable et le plus terrible phénomène du corps entier de, l'histoire,» sont consignées dans notre précédent volume Remontons maintenant à des circonstances également impor tantes, mais que nous avons dû écarter d'abord afin de ne point surcharger le tableau des événemens qui ont donné une nouvelle ère au monde. C'est la partie politique des relations avec l'étranger que nous allons présenter, nous bornant une simple mention de ce qui déjà fait l'objet d'un grand nombre d'ouvrages consacrés à nos annales militaires.

DIPLOMATIE.

La Convention venait d'ouvrir ses séances; ses premiers décrets, reçus avec enthousiasme par le peuple, avaient frappé d'étonnement et de crainte les puissances coalisées aussitôt elles méditent une démarche diplomatique. Quoique maître des frontières et de plusieurs villes, le roi de Prusse propose d'entrer en négociation : le général Dumourier transmet ces ouvertures suspectes au conseil exécutif, et ce conseil, digne interprète de la France nouvelle, répond au roi de Prusse par un arrêté portant que LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE NE TRAITE POINT AVEC DES ENNEMIS QUI SONT SUR SON TERRITOIRE;

qu'en conséquence il est ordonné aux généraux fran çais de n'entendre à aucune proposition sans que préa-. lablement les troupes prussiennes aient évacué le territoire de la République.

Cet acte mémorable, que nous verrons consacrer en prin cipe dans plusieurs Constitutions, et bientôt s'anéantir avec

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elles ; cet acte est du moins resté pour ses premiers auteurs un titre à la reconnaissance nationale: il était signé Rolland, Servan, Clavières, Danton, Monge, Lebrun. (1)

C'est le 25 septembre 1792 que le conseil exécutif avait pris cette décision. Le 26 un de ses membres, Lebrun, en donna connaissance aux représentans du peuple : elle fut reçue aux acclamations générales. Le ministre présenta ensuite le compte-rendu de son département.

COMPTE-RENDU à la Convention nationale par Lebrun, ministre des affaires étrangères. (Séance du 26 septembre 1792, an 1er de la République.)

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Citoyen président, en conformité du décret qui enjoint aux membres du conseil exécutif de rendre compte à la Convention nationale de l'état de leurs travaux et de la situation des différentes parties de la République française, je viens rendre celui du département qui m'a été confié. Je n'y mettrai, messieurs, d'autre art que la franchise la plus entière, et cette tranquillité d'âme que doit inspirer, même au milieu des dangers les plus apparens, le sentiment de la force d'un grand peuple, qui sera libre puisqu'il veut l'être.

» Avant l'époque du 10 août la nation française avait pour ainsi dire perdu toute sa considération au dehors : c'était le fruit des perfides intrigues d'une cour qui faisait entrer notre avilissement comme élément essentiel dans les projets de contrerévolution qu'elle méditait; c'était le fruit de la publicité que les conspirateurs n'avaient pas craint de donner à leurs complots, tant ils se croyaient assurés du succès!

» En effet, messieurs, et cette circonstance vous paraîtra sans doute assez remarquable, j'ai eu occasion de me convaincre que, dans les contrées les plus éloignées comme chez nos plus proches voisins, on avait eu d'avance des notions certaines et très étendues sur tous les fils de cette vaste conjuration, qui devait nous être si fatale. Les mêmes causes qui donnaient aux armées combinées tant de sécurité et de confiance > aux rebelles émigrés tant de présomption et de jactance,

(1) On se rappelle que c'est à ces six ministres que l'Assemblée législative confia le pouvoir exécutif après le 19 août. (Voyez tome IX.)

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aux aristocrates de l'intérieur tant d'audace et d'insolence; ces causes agissaient aussi dans le reste de l'Europe, et nous perdaient dans l'opinion des peuples: partout on voyait déjà la contre-révolution consommée, la liberté anéantie, et le peuple français, vaincu, ruiné, rentrant sous le joug du despotisme, n'était déjà plus qu'un objet de pitié et de dérision.

» Mais la journée du 10 août, en déconcertant au dedans tous les projets de nos ennemis, a dérangé aussi leurs fausses spéculations au dehors. Les étrangers ont vu que nous allions enfin avoir un gouvernement, et ils n'ont pu le voir avec indifférence : notre crédit public a commencé aussitôt à se relever; le commerce n'a plus eu les mêmes alarmes; le change a éprouvé d'heureux changemens en notre faveur ; les peuples ont conçu de nouvelles espérances, et la terreur des rois s'est réveillée.

» En prononçant ces derniers mots je viens, messieurs, de vous révéler les mystères de la diplomatie actuelle : telles sont en effet les seules données sur lesquelles doivent aujourd'hui reposer tous les calculs de la politique; d'une part la haine des gouvernemens pour nos principes, et d'une autre part les secrètes dispositions des peuples pour les adopter.

» Oui, messieurs, je n'hésite pas de vous le répéter, presque tous les gouvernemens sont les ennemis de la révolution française, parce que tous sont encore plus ou moins infectés du venin de l'aristocratie et du despotisme; mais aussi j'ose affirmer que nous avons partout de chauds amis parmi les peuples ; j'ose affirmer que les hommes de tous les pays n'ont pas cessé de faire des vœux pour nos succès, malgré les exagérations, les mensonges, les calomnies dont on a essayé de nous flétrir, malgré même les excès vraiment déplorables qui ont fait quelque tort à la plus belle des causes : c'est qu'il y a dans tous les pays des hommes raisonnables qui savent que la destruction d'un trône ne se fait pas sans fracas et tremblement ; c'est que dans tous les pays il y a des hommes justes qui ont pesé dans la même balance les effets et les causes de cette vengeance redoutable du peuple ; c'est qu'enfin il y a partout des hommes véritablement sensibles et humains, qui comptent aussi pour quelque chose l'affranchissement de vingt-cinq millions de leurs semblables, et qui mettent en compensation de quelques désor

dres momentanés, de quelques malheurs individuels, les bienfaits éternels de la liberté et de l'égalité, que tôt ou tard tous les peuples de la terre partageront avec le peuple français.

» Les rois ont prévu ce résultat, et ils feront tout pour le prévenir et le retarder. J'ai promis, messieurs, de ne pas vous bercer de vaines illusions : hé bien, voici ce que je crois être de la plus exacte vérité; c'est que la crise actuelle n'est pas la plus périlleuse que nous ayons à redouter; c'est que le moment du plus terrible danger arrivera au printemps prochain; c'est qu'alors la tyrannie coalisée fera son dernier effort, et que nous aurons repousser à la fois les forces combinées de tous les rois qui auront pu ou qui auront osé fournir leur contingent à cette croisade impie. Mais s'il est prudent de ne pas dissimuler les dangers, il est juste aussi de ne pas les exagérer à plaisir, et je vois en même temps quelques motifs de nous rassurer dans l'inquiète jalousie de tous ces potentats; dans la dévorante ambition qui les consume; dans des rivalités qu'un danger commun a pu assoupir, mais n'a pas éteintes ; dans le choc de tant d'intérêts divers qui se contrarient sans cesse; dans les méfiances réciproques; dans les craintes respectives qui les agitent entre eux d'autant plus activement qu'ils connaissent mieux leur immoralité profonde, leur atroce machiavélisme, leur improbité politique; dans la détresse pécuniaire où les plongent leurs insultantes prodigalités; dans la lassitude des peuples; enfin dans mille événemens politiques ou physiques, inattendus ou prévus, qui peuvent et qui doivent infailliblement survenir durant le cours de six mois, et que sans doute nous nous appliquerons à connaître et à surveiller pour notre profit.

» Si la prudence permettait de donner à ces aperçus généraux les développemens dont ils sont susceptibles, je vous exposerais, messieurs, une foule de faits particuliers qui acheveraient de vous faire juger toute l'étendue de nos espérances et de nos craintes. Je vous montrerais cette femme étonnante qui depuis vingt ans est habituée à fixer les intérêts du nord, et qui aspire vainement depuis vingt ans à fixer ceux de l'Europe entière; cette femme dont tous les genres de grandeur et de jouissance n'ont pu encore satisfaire les désirs, qui sait allier les faiblesses et les qualités de son sexe avec toute la force et les

vices du nôtre; je vous la montrerais toujours constante dans la jalousie qu'elle a vouée aux Français, et toujours irritée des distances immenses qui la séparent de nous; toujours nous menaçant de ses vaisseaux et de ses cosaques, et toujours humiliée de la nudité des uns et des autres; toujours annonçant l'arrivée de ses forces de terre et de mer pour nous asservir, et toujours arrêtée soit par l'extrême pénurie de ses finances, soit pour donner le change et tromper ses propres alliés sur les véritables projets de son ambition, soit enfin par la crainte très fondée qu'en cherchant au loin les hasards d'une guerre douteuse elle ne soit accablée dans ses propres états par des voisins qui ont d'anciennes injures à venger, des pertes récentes à réparer.

Ces considérations, messieurs, sont la raison suffisante des bruits contradictoires qui circulent sur les préparatifs et les armemens de la Russie. On a dit que quinze ou vingt, ou même trente mille Russes étaient en route pour se joindre aux armées combinées qui déjà nous combattent; mais je vous certifie que jusqu'à présent ces troupes n'ont pas dépassé les frontières de la Pologne, et j'ajoute que les quarante mille Russes qui s'y trouvent suffisent à peine pour y contenir un peuple que l'esclavage irrite, et les factions opposées des grands qui s'entredéchirent.

» On a parlé d'une flotte venue d'Archangel dans les ports du Danemarck, et déjà l'on suppose que cette flotte va se montrer sur nos côtes, et les insulter et moi, messieurs, je puis assurer que ces vaisseaux russes, effectivement venus d'Archangel, n'ont pas le quart de leur équipement, et que pour le compléter ils viennent de faire voile pour le port de Cronstadt; qu'ainsi il est maintenant impossible qu'ils sortent de la Baltique avant le mois de juin prochain.

» On a encore fait grand bruit d'une autre flotte apparue subit ment de la mer Noire dans l'Archipel. D'abord ce bruit ne s'est pas confirmé, et depuis un mois qu'il a été répandu la flotte sans doute aurait été aperçue dans quelque point de ces mers; mais d'ailleurs ce passage par le Bosphore de vaisseaux de guerre russes serait une violation manifeste des traités subsistans entre la Russie et la Porte Ottomane, et certes les Turcs

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