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que d'avoir consacré un principe de convenance; les différens journaux continuèrent de se répandre alimentés les uns par des députés de la gauche, les autres par des députés de la droite, et neutralisant ainsi l'un pour l'autre les poisons que tous portaient. Mais il n'en était pas de même de ces pamphlets dont la faction royaliste infectait la capitale et les départemens; secrètement imprimés et distribués, ils échappaient à la polémique qui les aurait fait apprécier : ces dangereuses publications appelaient une répression plus sévère. Bientôt un décret est rendu qui atteint à la fois tous les écrits contraires aux lois et au nouvel ordre de choses. RAPPORT fait par Lamarque au nom du comité de sûreté générale. (Séance du 29 mars 1793.)

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Citoyens, votre comité de sûreté générale a été instruit qu'il se répandait avec profusion dans tous les départemens de la République une infinité de brochures qui depuis la mort de Louis XVI appellent à grands cris la guerre civile, la dissolution de l'Assemblée nationale, le massacre des représentans du peuple, le rétablissement de la royauté, tous les fléaux, tous les malheurs de la tyrannie.

» Votre comité a cru un moment que la force de l'opinion publique suffirait pour rendre sans effet tous ces criminels écrits, ouvrage d'un despotisme sanguinaire ou de la plus abjecte servitude.

» Mais il s'est convaincu par les renseignemens qu'il a pris, par les rapports qui lui ont été faits, et par les dénonciations d'un très-grand nombre de citoyens, soit de cette ville, soit des départemens, qu'en dénaturant absolument les circonstances de la trahison et de la mort du dernier de nos tyrans, en exagérant nos revers, et en présentant comme le seul moyen de paix le retour à l'ancien régime, on pervertissait l'esprit public, et l'on agitait le peuple d'une manière infiniment dangereuse, surtout les habitans des campagnes, dont le fanatisme emploie jusqu'aux vertus mêmes pour combattre la liberté.

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» Dès lors, citoyens, votre comité a cru que cet objet méritait son attention et celle de la Convention nationale.

» Lundi dernier il fut saisi chez les libraires Weber et Lacloix jusqu'à trente ouvrages au moins de cette nature, tous sous des titres distincts, mais ayant le même but, et dont les exemplaires, distribués avec beaucoup d'empressement, étaient en très grand nombre.

» Je ne souillerai point cette enceinte de l'analise de ces infâmes écrits; il m'en a déjà trop coûté d'être obligé de les parcourir; mais je crois, citoyens, qu'il importe que vous sachiez que s'il est quelques uns de ces libelles qui par leur atrocité même portent avec eux le contrepoison, il en est aussi qui à une extrême audace réunissent beaucoup d'art, et qui sur les âmes faibles et confiantes, surtout dans les circonstances où nous sommes, peuvent produire les plus funestes effets.

>>

Quant au but le voici : on y invite très formellement les citoyens de Paris et de tous les départemens de la République » 1o. A délivrer de la captivité ce qu'on appelle le jeune monarque et son auguste famille ;

» 2o. A le replacer sur le trône, où les citoyens lui prêteront le serment d'être aussi fidèles qu'ils lui ont été parjures;

» 3o. A chasser tous les représentans du peuple, qu'on appelle des brigands, et dont on dit que les noms sont inscrits pour qu'il en soit fait une justice éclatante;

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4o. A rappeler les prêtres, rétablir les dîmes, qu'on appelle des propriétés envahies par des scélérats.

» J'observe à cet égard une circonstance qui devrait bien nous réunir à jamais; c'est qu'il n'est pas une seule de ces criminelles brochures qui aperçoive deux partis dans la Convention; tous les députés sans aucune différence sont condamnés et proscrits, et tous, je pense, et sans doute vous le pensez comme moi, mes collègues, tous doivent s'en honorer! ( Applaudissemens.)

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Quant à moi, citoyens, je déclare hautement que je me croirai coupable dès que je serai ménagé par ces hommes féroces qui traitent une partie de l'espèce humaine comme un troupeau de bétail, qu'ils ne gardent que pour le dévorer.

» Exécration à ces tigres qui ne méritent pas le nom d'hommes ! dévouement de nos personnes, sacrifice de toutes nos facultés pour les combattre jusqu'à la mort ! Voilà le sen

timent indestructible dans lequel nous devons nous unir! (Applaudissemens.)

» Si nous le faisons ici avec loyauté et du fond de notre cœur, toutes les divisions disparaissent du sol de la République; les tyrans sont sans appui, et la patrie est sauvée !

» Les principes qui doivent nous guider dans la mesure à prendre sur cet objet sont universellement reconnus.

» La liberté de la presse et la liberté d'opinion doivent être protégées dans tout gouvernement qui n'est pas arbitraire; mais il est évident pour tous que cette liberté ne consiste nullement à pouvoir troubler avec impunité, par la manifestation de ses pensées ou de ses écrits, l'ordre public établi par la loi.

» Il est évident que cette liberté ne consistera jamais à pouvoir provoquer impunément la discorde, la guerre civile, le renversement de la liberté, le règne de la tyrannie, et le massacre des représentans du peuple.

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Chaque citoyen a le droit de parler et d'écrire; mais si, au lieu d'user de ce droit sacré pour sauver la patrie, il en abuse pour la perdre, il en est évidemment responsable aux yeux de la nation et de la loi.

» Il est certain d'un autre côté que dans les momens révolutionnaires toutes les espèces de liberté, même la liberté individuelle, doivent souffrir quelques modifications; et qu'on ne dise pas, comme quelques personnes l'ont répété si souvent, qu'alors les principes sont violés! Non, citoyens, ils ne le sont pas ce sont de justes exceptions que le salut public commande, et ces exceptions ne violent pas le principe, car elles sont aussi fondamentales, aussi utiles, aussi sacrées que le principe même.

>>

Déjà vous avez rendu un décret qui prononce la peine de mort contre tout citoyen qui proposerait le rétablissement de la royauté.

» Un autre décret porte la même peine contre quiconque proposerait la loi agraire ou la subversion des propriétés. (Voyez ci-après.)

>> Vous avez donc pensé que dans certains cas et pour l'utilité commune il fallait restreindre la liberté de parler et d'écrire. » Vous avez désarmé les citoyens suspects.

» Hé bien, il n'est pas d'armes aussi dangereuses que les

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perfides écrits que votre comité vous dénonce. Hâtez-vous donc de les briser dans les mains de vos ennemis et effrayez par une loi sévère tous ceux qui désormais auraient la criminelle audace d'en composer ou d'en distribuer de nouvelles !

>>

Quelques membres de votre comité avaient d'abord pensé qu'aux termes de la loi du 4 décembre, qui porte en termes généraux «< que quiconque proposera ou tentera d'établir en >> France la royauté ou tout autre pouvoir attentatoire à la souveraineté du peuple sera puni de mort», il fallait regarder comme coupables de ce délit et renvoyer en conséquence au tribunal révolutionnaire les libraires qui vendent des brochures où l'on propose le rétablissement de la royauté et la dissolution de la représentation nationale.

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>> Mais les citoyens qui ont été amenés comme prévenus de cet infâme trafic ont paru si éloignés de croire qu'ils fussent dans l'application de la loi, ils ont parlé si longtemps et si opiniâtrément de la liberté de la presse et de l'ignorance où ils prétendent se trouver eux-mêmes relativement aux écrits qu'ils débitent, que votre comité a unanimement reconnu qu'il était de la sagesse de la Convention de rendre à cet égard une loi précise, et tellement claire qu'il ne pût rester ni prétexte aux malveillans ni incertitude dans les tribunaux.

»Il vous propose donc le projet de décret suivant, qui n'est qu'une addition à celui du 4 décembre. »

:

L'article 1er du projet de Lamarque est adopté à l'unanimité. Le second, qui frappait de la même peine les auteurs, imprimeurs et distributeurs de ces écrits, reçoit quelques modifications. - Voici la loi anglaise, dit Marat: on arrête le premier colporteur de tel écrit; on le menace de la peine décernée contre l'auteur s'il ne le nomme pas; il nomme l'imprimeur la même menace force l'imprimeur à déclarer le nom de l'auteur. Ainsi le seul coupable porte la peine de la loi. Les seuls, les véritables coupables, ajoute Lasource, sont les auteurs et les imprimeurs, et non les colporteurs, trop jeunes souvent ou trop ignorans pour pouvoir être soupçonnés du crime de provocation; et ce serait une barbarie que de les punir d'un crime qui n'est et ne peut être le leur. Je demande contre eux la peine de trois mois de

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détention s'ils désignent l'imprimeur, et de deux ans s'ils ne le désignent pas. (Adopté.) — Lehardy demande la peine de mort contre ceux qui provoquent le rappel ou le meurtre d'un député pour cause de son opinion; Duhem la veut également contre ceux qui provoqueront la guerre civile en proposant la convocation des assemblées primaires... Cette proposition excite des murmures à droite. (1) - Prononcez aussi la peine de mort, dit Chénier, contre ceux qui provoquent à l'assassinat d'un simple citoyen, car la vie du plus simple citoyen est aussi précieuse que celle d'un représentant du peuple. Je m'oppose à cette dernière mesure, s'écrie Marat; elle est trop vague; elle serait un glaive à deux tranchans, sous lequel tomberaient également et les patriotes et les contre-révolutionnaires : or ce sont les contre-révolutionnaires que nous voulons atteindre ; ce sont eux seuls qui cherchent à perdre la liberté, ce sont eux seuls que doit frapper leglaive de la loi. —Je n'ai point fait un amendement, reprend Chénier; j'ai proposé un article additionnel contre les plus dangereux perturbateurs de l'ordre public; car il n'est pas à mon sens de crimes plus contre-révolutionnaires que de provoquer par des écrits le meurtre et la violation des propriétés. Si vous voulez atteindre les provocateurs de ces crimes vous devez prononcer contre eux une loi précise. La Convention adopte comme article additionnel la proposition de Chénier, rédigée par Barbaroux, et le décret suivant est rendu (29 mars 1793 ) :

«La Convention nationale décrète :

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Art. 1. Quiconque sera convaincu d'avoir composé ou imprimé des ouvrages ou écrits qui provoquent la dissolution de la représentation nationale, le rétablissement de la royauté

(1) La proposition de convoquer les assemblées primaires pour pro céder par un scrutin épuratoire à la confirmation ou au rappel des députés de leur département, cette imprudente et dangereuse propo sition, faite d'abord par Guadet le 9 décembre 1792 (voyez tome X, page 240 ), avait depuis été renouvelée plusieurs fois par des membres de la droite, et toujours repoussée avec indignation. Elle fut une des causes de la haine des montagnards contre les girondins.

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