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la liberté et de l'égalité, aujourd'hui que toutes les ruses des financiers sont épuisées, et comme il n'est à craindre que le règne des concussionnaires et des malfaiteurs puisse durer longtemps encore, le moyen, le seul moyen d'étouffer à jamais ce règne c'est de punir jusque dans leurs héritiers ou ayans cause ceux qui ont volé la nation à l'abri du trône; c'est de remonter jusqu'en 1740 pour retrouver une partie du sang du peuple, absorbé dans les immenses richesses des ci-devant privilégiés, des ci-devant traitans et financiers. Nous dirons donc avec le docteur Parilly: nos finances sont en plusieurs lieux; nous pouvons prendre icelles finances... Saus doute nous répéterons ce langage d'un loyal et courageux citoyen, parce qu'il est fondé en raison et en justice, parce que le salut du peuple nous le commande, parce qu'avant d'appeler des sacrifices pour affermir la liberté il faut épuiser le chapitre des restitutions, et arrêter par là le cours des accaparemens et de l'agiotage dans sa véritable source, parce que liberté et vertu sont synonymes, et que l'une et l'autre sont des êtres de raison là où on laisse subsister des moyens puissans aux ennemis du peuple pour contrarier la régénération des mœurs et de l'ordre públic, et là où on laisse des fortunes immenses acquises par des voies illicites : ces voies illicites sont ce qu'elles étaient autrefois, l'usure, le péculat et la concussion.

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C'est par l'usure de leurs prêts, de leurs traités et de leurs baux à ferme avec l'ancien gouvernement que les gens de finances lui ont extorqué des sommes immenses, et centuplé dans les temps les plus désastreux les dépenses de l'Etal; c'est par le péculat qu'ils ont détourné une partie des deniers publics confiés à leurs soins; c'est par la concussion qu'ils ont encore auginenté leurs énormes bénéfices; c'est par l'agiotage enfin et par l'accaparement des denrées de première nécessité, ainsi que du numéraire en espèces, voies indirectes, mais composées de péculat, d'usure et de concussion, qu'ils ont achevé de transmettre dans leurs propres mains la fortune publique et les dernières gouttes de la sueur et du sang du peuple.

Voilà les hommes qui pendant tout le temps de notre mémorable révolution n'ont songé qu'à augmenter leurs capitaux en portefeuille pour fournir aux moyens et aux projets d'une cour perfide et contre-révolutionnaire; les hommes qui, coalisés avec les banquiers des cours d'Europe établis à Paris, font et favorisent de tout leur crédit et de tous leurs moyens pécuniaires tous les genres d'accaparement, d'agiotage, de corruption et de trahison, et qui aujourd'hui, où la patrie est environnée d'ennemis et de dangers, se tiennent cois dans leurs hôtels ou leurs maisons de campagne sans faire aucun sacrifice,

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formant au contraire des voeux atroces et impies pour le succès des tyrans qui nous insultent et nous attaquent de toute part! Citoyens législateurs, quand le pauvre et l'indigent se privent du plus strict nécessaire pour fournir aux besoins de la patrie, quand les citoyens de tout âge et de tout état marchent d'un bout de l'empire à l'autre pour combattre en personne les hordes barbares des tyrans européens, souffrirez-vous que de vils financiers, d'odieux concussionnaires, de perfides agioteurs s'endorment paisiblement et mollement, moyennant quelques petites sommes d'argent, sur les coffres d'or et les immenses portefeuilles d'assignats qu'ils ont accumulés aux dépens de la nation, et dont ils réservent vraisemblablement une partie pour aider l'invasion de nos ennemis au premier échec que nous éprouverions? Non, vous ne laisserez point ces stupides sangsues dans l'ombre du repos sans les faire dégorger de tout le sang qu'elles ont sucé sur le corps du peuple!

» Tel financier présente aujourd'hui une fortune de cinquante millions qu'il se hâte peut-être en ce moment de convertir entièrement en portefeuille tel agioteur génevois, autrefois simple commis à 600 livres, ensuite ministre des finances, a emporté à la barbe de la nation plus de quarante millions, qu'il a volés à cette même nation: tel autre a laissé en mourant à d'avides héritiers les plus beaux hôtels de la capitale et les plus belles possessions territoriales. Les fortunes de trois, quatre, cinq, six millions, sont très communes parmi ces financiers de l'ancien régime qui restent au milieu de nous, et qui, tout en accaparant les denrées de première nécessité et les objets les plus essentiels à l'approvisionnement de nos armées avec les propres fonds qu'ils ont volés et volent chaque jour à la nation, tout en provoquant des émeutes et les craintes d'une famine factice dans toutes les parties de l'Europe, en même temps attendent en silence et en riant sous cape les désastres qu'ils espèrent voir fondre sur la République!

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Législateurs, il n'y a point de temps à perdre; tous ces voleurs de deniers publics, ces sangsues du peuple, ces exécrables agioteurs vont se håter de vendre leurs possessions territoriales et de fuir en portant à nos ennemis le reste de la fortune publique, si vous ne vous hâtez vous-mêmes de les prévenir. Voici le projet de décret que je propose :

» La Convention nationale, considérant que le danger imminent où se trouve aujourd'hui la patrie par l'attaque combinée de tous les tyrans de l'Europe exige impérieusement que la nation fasse usage de toutes ses ressources;

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Que la plus grande partie de ces mêmes ressources se trouve dilapidée et disséminée dans des mains depuis longtemps

coupables d'usure, de péculat et de concussion, et que le peuple dans tous les temps, non seulement par sa souveraineté absolue, mais par les vrais principes de la justice, de la raison et de la politique universelle, a le droit de reprendre son bien partout où il le retrouve; considérant en outre que cette mesure est la seule qui puisse briser le talisman fatal des accaparemens de tout genre, et arrêter net le cours de toute espèce d'agiotage et l'écoulement du numéraire dans les pays étrangers, décrète :

» Art. 1or. Tous ci-devant trésoriers généraux et particuliers des finances, receveurs généraux ou particuliers, régisseurs généraux des domaines et bois, régisseurs généraux des traites et droits réunis, ex-ministres ou contrôleurs des finances, fermiers généraux, intendans des finances, intendans de province ou d'armée, maîtres des comptes, liquidateurs généraux, administrateurs généraux des postes, banquiers de cour, banquiers agioteurs, leurs participes, agens et commis, dont l fortune scandaleuse annonce complicité d'usure, de péculat et de concussion; tout homme de finance, partisan, traitant, enfin leurs héritiers successeurs en ligne droite ou collatérale, donataires ou ayans cause sont assujétis dès l'instant

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même à des déclarations de leur fortune mobilière et immobilière. Ces déclarations partiront depuis l'année 1740 inclusivement jusqu'au jour du présent décret; elles seront faites en présence de chaque municipalité du lieu où se trouve le principal domicile des susdénommés. »

(Suivaient plusieurs articles, portant 1° l'établissement d'une commission de justice distributive et nationale, composée de dix-neuf membres pris hors de la Convention nationale, élus par elle parmi les hommes les plus éprouvés et les plus intègres de toute la République; 2° le mode d'exécution dans l'examen des fortunes, dans les procédures à suivre et jugemens à rendre quant aux restitutions à faire à la nation, en comparant ces fortunes avec les bénéfices raisonnables de tel ou tel emploi, etc., etc.; 3° la peine de mort contre ceux qui auraient fait de fausses déclarations de leurs biens et propriétés, etc.)

Ce projet, attentivement écouté par la Convention, applaudi des tribunes avec une sorte d'enthousiasme, avait été ajourné. Des extraits, des analises infidèles, des interprétations forcées du discours et des principes de l'orateur circulèrent aussitôt dans les clubs, dans les assemblées de section; on crut y lire le partage des terres, et des orateurs de carrefours, ignorans ou perfides, jetèrent dans la multi

tude l'espoir de l'égalité de fortune; ces mots, la loi agraire, diversement expliqués, étaient dans toutes les bouches : les riches tremblaient; ceux d'entr'eux qui avaient secrètement repoussé la révolution sentaient leur haine s'accroître contre le nouvel ordre de choses; ceux qui en avaient adopté les principes commençaient à les abjurer. Un décret de la Convention va ramener la sécurité dans l'âme des propriétaires, détruire l'espoir d'une multitude égarée, briser entre les mains des factieux un instrument de contre-révolution.

On venait d'apprendre qu'une bande de mécontens armés, réunis à Orléans, avaient commis un assassinat sur la personne d'un représentant du peuple, commissaire de la Convention (1). Plusieurs membres font des propositions; on demande que séance tenante des mesures de salut public soient décrétées. Barrère monte à la tribune, et improvise ce qui suit au nom des comités de défense et de sûreté générale.

(1) Lettre de Léonard Bourdon, écrite d'Orléans le 17 mars 1793.

<«< Citoyens législateurs, et moi aussi j'ai payé mon tribut à ma patrie! et moi aussi j'ai versé mon sang pour elle! De nouveaux Pâris, au nombre de trente, m'ont tiré de ma voiture et entraîné dans la cour de la maison commune; là ils m'ont assailli à coups de crosse et de baïonnette va rejoindre Lepelletier, m'a dit un de ces scélérats en me portant un coup dans le bas-ventre. Je ne dois la vie qu'à l'intrépidité du citoyen Dulac, qui m'a fait un rempart de son corps. J'arrivai avec peine à l'antichambre de la municipalité; là de nouveaux assassins m'attendaient : ils voulurent fermer la porte, et j'eusse péri sous leurs coups si d'un bras vigoureux, et que le danger rendait plus fort encore, je n'eusse vaincu cet obstacle aussitôt qu'il me fut présenté. Aucun des coups que j'ai reçus n'est dangereux ; une redingotte, que je portais sur mon habit, parait ceux qu'on me portait sur le corps ; mon chapeau, à haute forme, fit qu'une baïonnette n'entra que de deux à trois lignes dans ma tête. Je crains que demain le ressentiment des sans-culottes ne produise quelque mauvais effet pour les aristocrates, car si ces derniers me haïssent l'amour des premiers me dédommage bien. Il est bien doux d'être le confesseur de la liberté, et je ne céderais à personne les blessures que j'ai reçues. Les corps administratifs font les recherches les plus actives pour donner à cette affaire les suites dont elle est susceptible. »

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DISCOURS de Barrère. (Séance du 18 mars 1793.)

« Un de nos collègues a été frappé d'un fer homicide; une ville très populeuse a gardé le silence à la vue de cet attentat; une partie de la garde nationale, chargée plus particulièrement de défendre les hommes revêtus de la représentation nationale, a été l'instrument de cet assassinat! Un seul homme, dans une ville où il se trouve plus de quarante mille âmes, s'est présenté; seul il a fait entendre sa voix, et a suspendu les derniers coups que l'on allait porter à Léonard Bourdon! Hé bien, quand tous vous êtes frappés dans la personne d'un de vos collègues, je vois des passions, et des passions hideuses, s'agiter encore dans votre sein, tandis que vous devriez ne vous occuper que des moyens d'éloigner le danger commun! Vos comités de défense et de sûreté générale se sont réunis hier au soir avec plusieurs de nos collègues ; ils ont discuté jusqu'à trois heures après minuit les mesures à prendre dans ces pénibles circonstances. Ils m'ont chargé de vous proposer un décret qui frappe à la fois et la municipalité coupable, et la garde nationale, encore plus coupable, et qui récompense l'homme vertueux qui seul a eu le courage d'empêcher l'attentat de se consommer.

>> Nous vous proposerons encore plusieurs mesures de sûreté générale, parce que vous devez porter des coups de force dans un moment où vous avez autour de vous tant d'ennemis conjurés. Vous avez à déjouer la conjuration des émigrés, qui, battus sur la frontière, ont déposé leurs armes, et sont ensuite rentrés en France sous la livrée de la misère et avec les paroles d'un excessif patriotisme pour exciter des troubles; celle des prêtres, ennemis irréconciliables de la République, car avec le fanatisme la liberté ne serait qu'une chimère. Vous avez encore à déjouer les espérances de cette autre classe d'hommes qui observe dans l'inaction et le peuple et vous; c'est un parti étranger, un parti expectant qui observe vos mouvemens pour en profiter. Vous ne devez pas avoir de doute sur l'existence et la liaison de ces différens conspirateurs, quand vous saurez que des troubles et des complots absolument du même genre ont éclaté dans presque toutes les parties de la République.

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