Imágenes de páginas
PDF
EPUB

effrénée de l'agiotage, des accaparemens, et les déprédations épouvantables de la fortune publique, qui accroissent chaque jour l'audace des ennemis de la liberté avec la misère du peuple.

» Je viens vous proposer seulement une mesure simple, et en quelque sorte préliminaire, que les circonstances actuelles commandent, et qui doit réunir tous les suffrages.

» Quand la République était paisible au dedans et partout victorieuse au dehors, elle a pu voir sans inquiétude des individus que le seul souvenir de ce qu'ils furent rendra à jamais suspects aux amans jaloux de la liberté ; quand vous n'avez vu dans une mesure rigoureuse et extraordinaire proposée contre eux qu'un moyen de favoriser l'intrigue et d'insulter aux bons citoyens, vous avez dû la rejeter; quand vous n'y avez vu qu'un incident étranger au procès du tyran, et qui tendait à éloigner sa condamnation, vous avez dû l'ajourner mais depuis cette époque, et surtout dans les circonstances où nous sommes, j'ai lieu de m'étonner que personne n'ait songé à la reproduire. Aujourd'hui que la République est trahie et déchirée; aujourd'hui qu'au cœur même de l'Etat l'aristocratie lève des armées pour ressusciter la royauté, et qu'elle a pu faire couler le sang des patriotes; aujourd'hui qu'il existe un trop grand nombre d'hommes qui ne peuvent concevoir qu'on puisse détrôner un tyran pour un autre but que pour le remplacer par un autre; aujourd'hui que tous les citoyens corrompus attachent leurs coupables espérances à toutes les têtes qu'ils regardent comme destinées par la nature à porter une couronne; tant d'insolence et de perfidie d'une part, tant de misère et tant d'oppression de l'autre, doivent réveiller dans le cœur des vrais républicains la haine immortelle dont ils sont animés pour le nom des rois! Je ne croirai jamais au républicanisme des princes, quels qu'ils soient, parce que je ne crois point aux mira. cles. Et vous, citoyens, quand des rebelles armés osent nous présenter des conditions; quand des traîtres jettent en avant des propositions de paix et de transaction avec les despotes, la République, dont on étouffe l'esprit, dont on calomnie les principes, dont on veut déshonorer le berceau, dont on égorge les défenseurs, dont on favorise les ennemis, dont on ne veut nous laisser que le nom; la République, outragée par l'audace, compromise par la faiblesse, assassinée par la perfidie; la République, à qui il ne reste plus d'autre ressource que les vertus qu'elle suppose, a droit d'exiger de vous que, par un gage nouveau et réel de votre constante aversion pour la royauté, vous ranimiez l'énergie républicaine, et confondiez les projets de tous les despotes!

» A l'idée que j'ai déjà indiquée se lie nécessairement dans.

mon esprit une autre idée : il est temps de faire cesser un scandale qui ne peut être regardé que comme un reste de l'idolâtrie honteuse qui nous courba si longtemps devant le despotisme royal; un scandale qui ressemble trop aussi à une lâche condescendance pour les tyrans armés contre la liberté ! La punition d'un tyran, fruit de tant de débats orageux, prix de tant de dangers, sera-t-elle le premier et le dernier hommage rendu à l'égalité? Souffrirez-vous plus longtemps qu'un être non moins coupable que lui, également accusé par la nation, bravant la sévérité de nos principes, toujours vainement invoqués, et la justice de nos lois, éternellement violées, jouisse avec une joie barbare du spectacle des maux qu'il a faits, et attende paisiblement les ennemis féroces qu'il a armés contre nous ? Non!

D'après ces motifs je vous propose les deux décrets suivans : » 1°. Dans la huitaine de la publication du présent décret tous les membres de la famille Capet seront tenus de sortir du territoire français et des contrées occupées par les armées françaises.

» 2°. Marie-Antoinette d'Autriche, actuellement détenue au Temple, sera traduite au tribunal extraordinaire, et jugée incessamment comme prévenue d'être complice des attentats commis contre la liberté et contre la sûreté de la nation. » (Longue agitation.)

RÉPLIQUE de Lamarque.

« J'avoue que je n'ai pas été peu surpris d'entendre faire par Robespierre cette même proposition qui a été souvent faite par des ennemis de la patrie! Vous vous rappelez dans quelles circonstances on a demandé l'exil de la famille des Bourbons restés fidèles à la révolution, quels sont ceux qui l'ont demandée, quels sont ceux qui s'y sont opposés aujourd'hui la même proposition est faite par Robespierre! Je suis bien convaincu qu'il a d'excellentes intentions, que le bien public l'anime; mais je crois qu'il s'est trompé, et je viens le combattre.

:

» 1°. La justice seule permet-elle cette mesure? 2o La politique l'ordonne-t-elle ? Je soutiens dans cette tribune, comme je l'ai toujours pensé, que dans aucune circonstance les considérations politiques ne doivent prévaloir sur celles de la justice. Non, un peuple libre n'aura jamais d'autre politique que la justice elle-même! Or pouvez-vous douter qu'il ne soit injuste et extrêmement barbare d'ordonner que tous les parens de Capet indistinctement sortiront de France? Déjà on vous l'a dit, où voulez-vous qu'ils aillent? Ceux qui ont perpétuellement contrarié tous les complots de l'aristocratie, qui sont en butte

depuis le commencement de la révolution à toutes les calomnies, à tous les outrages des contre-révolutionnaires, sur quelle terre étrangère trouveront-ils des amis? Et vous quel sera votre rôle aux yeux des peuples qui vous contemplent? Ils diront: voilà ceux qui, ayant le plus de droits au trône, qui, ayant le plus de richesses et de dignités, ont cependant tout sacrifié pour faire la révolution, pour mériter le nom de citoyens dont ils ont fait leur plus beau titre, les voilà proscrits par leur patrie au moment où ils la défendaient! Ils avaient commencé d'être patriotes même avant la révolution...

» Il ne m'est jamais arrivé que deux fois, et c'est dans cette enceinte, de parler à Philippe Egalité; je ne suis donc pas suspect: mais j'ai suivi la révolution; je l'ai vu s'y livrer tout entier, ne redoutant pour elle aucun sacrifice, et je puis dire que lors de l'Assemblée des notables sans Philippe Egalité, sans le bureau qu'il présidait, nous n'aurions pas eu d'états généraux; nous ne serions pas libres! (Quelques murmures ; plusieurs voix: Vous insultez à la nation!)

" Je ne suis pas ici comme panégyriste d'un homme, quel qu'il soit; mais je m'établis ici comme défenseur de tout citoyen accusé lorsque l'accusation me paraît injuste. Je vous rappelle que l'homme dont je parle a très bien mérité de la patrie des le commencement de la révolution, qu'il a été sans cesse en butte aux calomnies des contre-révolutionnaires. Rappelez-vous quels sont ceux qui l'ont accusé, et dans l'Assemblée constituante et dans l'Assemblée législative, et quels sont ceux qui l'ont défendu !

»Je ne vais pas plus loin; mais je vous fais remarquer que ce sont constamment les hommes suspects aux yeux du peuple qui ont invoqué la mesure que vous propose aujourd'hui, à mou grand étonnement, un homme généralement reconnu pour un ardent ami de la patrie. Dès qu'aucun fait n'a jamais été dénoncé avec précision contre les Capets qui sont en France, dès qu'on sait que la seule accusation positive qui ait été portée contre eux a été reconnue n'être qu'une absurde calomnie, estil juste, est-il raisonnable de proposer contre ces citoyens un décret qui les mettrait sans défense sous le couteau de leurs ennemis? S'ils sont mal intentionnés, s'ils sont dangereux, ne le seront-ils pas hors du territoire de la République comme dans l'intérieur? » (Mouvement d'approbation.)

Cette nouvelle discussion n'eut point d'autre suite; la motion de Robespierre fut rejetée à l'unanimité. Il fallait un grand événement pour réunir les deux côtés de l'Assemblée sur le parti à prendre à l'égard des membres de la famille

royale; c'est en quelque sorte Dümourier qui va décider de

leur sort.

La Convention s'occupait des mesures que réclamait le salut de la République après la trahison de ce général : Boyer-Fonfrède, qui dans le temps avait appuyé la motion de Buzot, saisit ce moment pour faire triompher un vœu analogue.

MOTION de Boyer-Fonfrède. (Du 6 avril 1793, séance permanente.)

« Lorsque vous avez appris que les trois généraux Dumourier, Valence et Egalité venaient de consommer leurs crimes et leurs longues trahisons en passant à l'ennemi, une indignation égale a passé dans tous les cœurs. Il faut arrêter tous les Bourbons, les garder en ôtage! s'est écrié Charlier. — C'est la motion de ce républicain que je veux appuyer, et dont je vais développer la justice et la nécessité. (Oui, oui! Parlez! s'écrie l'Assemblée en se levant presque entière.)

» On nous parle sans cesse de lois révolutionnaires, de la nécessité de prendre des mesures fortes et vigoureuses. Sans doute elles seules peuvent sauver la patrie; mais je ne conçois pas comment la proscription de la famille ci-devant et toujours royale n'a pas encore été comprise par vous au nombre de ces mesures! Il faut faire cette loi révolutionnaire, cette loi terrible, que le salut du peuple commande et justifie! (Oui, oui!) Le jour où vous fondâtes la République si vous eussiez banni tous ces Bourbons, ce jour-là eût épargné à la France bien des troubles, à Paris bien des mouvemens, à vous bien des divisions, à vos armées bien des échecs! C'est le moment de réparer cette erreur; c'est le moment d'abjurer cette faiblesse! Les Républiques ne subsistent que par les vertus : les princes ne méditent et ne vivent que de crimes; corrompus dans les cours, ils corrompent vos soldats dans les camps, vos citoyens dans les villes; il n'est pour eux ni foi ni serment; leur ambition se cache sous mille formes, et c'est en profanant le nom sacré de patrie qu'ils aspirent en secret à redevenir un jour vos maîtres. Voyez ce jeune Egalité! Il fut comblé des faveurs de la République; il était né du sang de vos tyrans, et malgré cette tache d'infamie il commandait vos armées... Hé bien, il conspire, il fuit, il passe à l'ennemi! Rendons en grâce au génie qui veille sur la République; il nous éclaire enfin, et nous trace nos devoirs. Tandis que l'on conspire au nord que va faire cet autre Egalité au midi, dans l'armée du Var? Serait-il dans les mains d'un nouveau général, d'un nouvel instrument d'ambition?

Les traîtres qui servaient cette famille, à laquelle nous avions livré, par je ne sais quel aveuglement, nos flottes et nos armées, ont conduit nos collègues à Maestricht; ils sont au pouvoir des rois nos ennemis! Citoyens, les princes, au moins pour les forfaits, sont tous parens... Conservons donc tous ces Bourbons en ôtages; et si les tyrans qu'est allé rejoindre Egalité, auxquels il a livré nos collègues, osent, au mépris du droit des gens, porter sur les représentans du peuple français un fer assassin, que tous ces Bourbons soient traînés au supplice! que leurs têtes roulent au pied des échafauds! qu'ils disparaissent de la vie comme la royauté a disparu de la République, et que la terre de la liberté n'ait plus à supporter leur exécrable existence! >>

Cette motion, couverte d'applaudissemens, est adoptée par acclamation. Quelques débats s'élèvent sur le lieu où seront détenus les Bourbons; la question est renvoyée à l'examen d'un comité, et le surlendemain, 8 avril 1793, la Convention décrète à l'unanimité « que tous les individus de la >> famille Bourbon, femmes et enfans, hors ceux détenus au Temple, seront transférés à Marseille, où ils seront » mís en état d'arrestation sous la garde des citoyens et la » responsabilité des corps administratifs. »

[ocr errors]

DE DUMOURIER. ÉTAT DE LA CONVENTION APRÈS LA TRAHISON DE CE GÉNÉRAL.

Dumourier n'avait jamais été retenu par le respect de la morale, ni dirigé par l'amour de la patrie; il ne possédait aucune des qualités qui font le citoyen, le héros : intrigant par nature, adroit à se produire, fécond en petits projets, brave par vanité, entreprenant par présomption, Dumourier était également déplacé dans l'emploi secondaire et dans le commandement supérieur, dans l'un parce qu'il ne savait pas obéir, dans l'autre parce qu'il était dépourvu de sagacité, de grandeur dans les vues et dans le caractère. Parvenir, dominer, occuper de lui les esprits, quels que soient les hommes, les temps et les circonstances, tel fut toujours le but de ses démarches et de ses actions. Porté au ministère par une cabale, il s'y était maintenu quelque temps par la calomnie, blåmant, brouillant, détruisant tout ce qu'avaient fait ses collègues. Il court ensuite cacher sa

« AnteriorContinuar »