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turpitude au milieu des camps, et là il s'élève encore par la brigue. Téméraire heureux, il triomphe d'abord, grâce au courage des braves qu'il a l'honneur de commander; mais bientôt ce courage est compromis par ses imprudences, par ses propres fautes, et c'est alors qu'il croit ennoblir ses revers en en faisant hommage à la contre-révolution ! Il est croyable que Dumourier ne trahit que lorsqu'il fut battu. Dévoré du besoin de faire du bruit, il ne lui restait plus en effet qu'un aliment à offrir à sa passion; c'était un éclatant déshonneur; il l'obtint; et cette fois si le succès eût couronné son odieuse entreprise la postérité n'en eût pas moins frappé son nom d'une éternelle infamie.

Dès les premiers jours de mars l'armée française avait été forcée dans plusieurs de ses positions; l'évacuation d'Aix-laChapelle avait ouvert aux Prussiens le chemin de la Belgique : la déroute de Nerwinde la leur livra presque entière. Dès lors Dumourier s'attacha à calomnier ses victimes : il accusa les soldats d'indiscipline, les agens de la République d'exactions; il s'apitoya hypocritement sur le sort des Belges, rejetant tous leurs malheurs sur les mesures adoptées par le gouvernement français. Il se permit même d'adresser des remontrances à la Convention nationale et au pouvoir exécutif. En même temps il négociait avec les ennemis de la République ; et déjà, savourant le fruit de ses perfidies, il déclarait hautement aux Français qu'ils étaient gouvernés par quatre cents imbéciles et par trois cents brigands; qu'il avait résolu de changer un pareil état de choses; que la France ne pouvait absolument se passer d'un roi, et qu'il lui en donnerait un avec la Constitution de 1791, 'toute médiocre et vicieuse qu'elle lui parût; que la République était une chimère, et qu'il pleurait les victoires qu'il avait obtenues pour une aussi mauvaise cause; il parlait de son sabre, de sa valeur, de son armée; il déclamait contre les sociétés populaires, contre les excès du peuple; enfin, par ses forfanteries, par ses inconséquences il décelait lui-même toute l'exiguité morale de son être. Que dans le roi dont il menaçait la France il ait eu en vue le successeur de Louis XVI, le duc d'Orléans ou

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Ministre de la Justice, membre de la Convention), né à Arcis-sur-aube en 1759, mort(guillotine) en avril 1794.

son fils, c'est ce qui n'est et ne sera peut-être jamais parfaitement éclairci: (1) toutefois, en suivant la révolution, en observant la conduite et le caractère des membres de ces deux branches de la famille royale, il est permis de reléguer l'éternelle faction d'Orléans dans les romans politiques; si elle a existé c'est en 89, et la même année l'aurait vu mourir : on sait que le duc d'Orléans ne tarda pas à échanger la protection de ses partisans contre leur propre mépris, et que ce mépris devint ensuite général; quant à son fils, jeune encore, incapable d'intrigue, élevé par son seul mérite à des grades supérieurs, il montrait à cette époque non seulement de l'éloignement pour le trône, mais beaucoup d'amour pour la République.

Un décret du 30 mars mandait Dumourier à la barre. Beurnonville, ministre de la guerre, et quatre représentans du peuple, Camus, Quinette, Lamarque et Bancal, munis de pleins pouvoirs, avaient été envoyés à l'armée, chargés de reconnaître l'état des choses, et de faire toute nomination, destitution et changement qui leur paraîtrait nécessaire. Ces commissaires arrivés, Dumourier les fait arrêter, et les livre pour otages à l'ennemi (2). Dans des proclamations à l'armée, à des administrateurs de département, à toute la France, il annonce ensuite son intention de marcher sur Paris, de faire cesser l'anarchie et le brigandage, et de rétablir la Constitution de 1791 ; il demande à être secondé par la partie saine de la nation... L'armée, les magistrats,

(1) Les paroles d'honneur des princes et de leurs agens sont de faibles garanties; aussi ne donnerons-nous pas ici pour preuves sur un point les proclamations de Cobourg, qui au nom de son maître promettait aux Français le rétablissement de leur roi légitime et constitutionnel; de ce Cobourg, qui nommait son ami le brave et vertueux Dumourier; de Dumourier enfin, qui, dans une note remise au ministre autrichien Metternich, déclarait avoir toujours méprisé le duc d'Orléans autant qu'il estimait l'aîné de ses fils, ajoutant que si ce dernier, profitant d'une horrible catastrophe, aspirait jamais au trône, il lui vouerait une haine éternelle.

(2) On verra plus tard que ces commissaires ont été échangés contre la fille de Louis XVI.

La France entière ne répondent que par un cri d'indignation. Dumourier émigre avec plusieurs officiers de son état-major.

A ces nouvelles la Convention se constitue en permanence; elle déclare Dumourier traître à la patrie; elle le met hors la loi, et autorise tout citoyen à courir sus, assurant une récompense de trois cent mille livres et des couronnes civiques à ceux qui l'ameneraient mort ou vif à Paris. Des mesures sont également portées contre tous les officiers qu'on suppose étre ses complices, ainsi que contre tous les parens de ces derniers : c'est en vain qu'Egalité et Sillery, invoquant l'ombre de Brutus, s'écrient que de leurs propres mains ils immoleront leurs fils s'ils sont reconnus coupables; Egalité et Sillery sont d'abord gardés à vue, puis décrétés d'arrestation; enfin Egalité est compris dans le décret contre tous les Bourbons. (Voyez plus haut ce décret. )

Cette épouvantable défection réveilla toutes les haines, tous les ressentimens, servit de prétexte à toutes les vengeances, et de base aux accusations les plus absurdes. C'est alors que Danton, vivement inculpé dans son honneur, dans sa probité (1), repoussant comme indignes de lui des explications sur un tel sujet, s'écria avec fureur qu'il n'y avait plus ni paix ni trève entre les deux côtés de l'Assemblée, que la République ne pouvait être sauvée que par une autorité terrible, qu'il fallait regarder comme ennemis tous ceux qui dans le procès de Louis avaient voté l'appel au peuple ou la réclusion, poursuivre à outrance les aristocrates, les modérés, enfin les écraser tous!.... Et en prononçant ces mots, que les tribunes publiques couvraient d'applaudissemens, Danton montrait du poing les membres de la droite..... Je me suis retranché, ajoutaitil, dans la citadelle de la raison ; j'en sortirai avec le canon de la vérité, et je pulvériserai les scélérats qui ont voulu m'accuser!

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Après ce manifeste contre une partie de l'Assemblée Danton reçut de ses collègues de la gauche les témoignages de

(1) Danton était accusé d'avoir détourné de fortes sommes dans sa mission en Belgique.

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