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dans quelle mesure il convient de les admettre au partage des profits? Il n'y a pas de motifs pour ne pas permettre aux commerçants fictifs d'admettre des employés ou des ouvriers, tout comme le font les commerçants ordinaires; et de même que la jurisprudence considère comme de simples compléments de salaire les quote-parts de bénéfices stipulées au profit des salariés lorsqu'au cas de perte aucune part n'incombe à ceux-ci, de même il n'y a pas de société, dans le sens légal du mot, entre les coopérateurs et les ouvriers intéressés aux bénéfices, nommés auxiliaires.

20. La question des auxiliaires ou affiliés se présente sous une autre face dans les sociétés coopératives de consommation; plusieurs de ces sociétés ont totalement dévié des principes qui furent invoqués pour leur accorder des faveurs fiscales: elles admettent les tiers à venir acheter.

A qui profitent les bénéfices réalisés sur la consommation des tiers? Dans quelques sociétés, disait M. PIRMEZ dans la séance de la Chambre des Représentants du 24 novembre 1868, on l'attribue partiellement aux étrangers eux-mêmes pour les engager à revenir; dans d'autres, on en fait jouir le capital; dans d'autres enfin, on le distribue aux associés au prorata de leur consommation. On arrive ainsi à cette conséquence bizarre que ceux qui ont consommé le plus réalisent non seulement des bénéfices par leurs achats, mais profitent, dans une plus large part, de ce que les tiers sont venus acheter. C'est la constatation de ce phénomène qui fait dire en Angleterre, où les sociétés de consommation sont très répandues, que plus on mange plus on gagne.

21. La plupart des banques populaires italiennes répartissent le produit net de leurs affaires dans les proportions suivantes : 20 p. c. à la réserve jusqu'à ce qu'elle ait atteint le quart du capital social; 10 p. c. aux employés, selon leurs services; et 70 p. c. aux sociétaires.

22. Le Code allemand dispose que les intérêts à 4 p. c. seront toujours prélevés avant tout partage de bénéfices: c'est contraire au principe que dans les sociétés il n'y a pas d'intérêts proprement dits; mais c'est conforme aux usages du commerce, vu que tout

commerçant a soin de tenir compte dans ses livres de l'intérêt des capitaux qu'il consacre à ses opérations commerciales.

Le capital prêté est seul productif d'intérêts véritables: c'est par abus de langage qu'on donne ce nom à des dividendes sociaux; un associé n'a droit qu'à des bénéfices, s'il y en a. Dans les sociétés en commandite et anonymes, où le capital est la principale ou même l'unique garantie des tiers, il est impossible de laisser amoindrir cette garantie par le fait personnel des associés, et à leur profit; on doit respecter la démarcation légale entre le capital et les bénéfices: permettre le paiement d'un intérêt prélevé sur le capital, c'est confondre le fond avec les fruits, et distribuer sous un faux nom des fractions mêmes du capital social. Il y a, dans tout contrat, des conditions fondamentales, essentielles à son existence, et qu'il n'est pas au pouvoir des parties d'anéantir, alors surtout que les tiers y sont intéressés.

Tel est le langage que tenait M. PIRMEZ et qu'il empruntait à certains auteurs français, contrairement à la jurisprudence française à propos des sociétés par actions. Mais, comme VAVASSEUR en a fait la remarque, c'est précisément le dernier argument qui permet l'offensive aux partisans de l'opinion contraire. Pourvu que le fonds social, dans les sociétés coopératives, soit au dessus du minimum statutaire, les tiers ne sont pas censés intéressés à ce que, par convention sociale, des intérêts ne soient pas prélevés au besoin sur le capital; et la liberté des conventions n'a d'autres limites que la nature des choses ou la volonté formellement manifestée par la loi.

23. L'instruction est le plus puissant auxiliaire de la production, de la juste répartition et de la consommation des richesses. Elle donne à l'entrepreneur les talents et la sagesse nécessaires pour faire converger, vers le même but, les différents éléments de la production; au capitaliste l'intelligence, la prudence et l'habileté indispensables pour éviter les opérations aléatoires et ruineuses; à l'ouvrier, elle apporte un gain plus facile, ainsi que la considération, l'indépendance et la prévoyance; au pays, elle procure la puissance et les richesses. Jamais la société ne peut même espérer d'atteindre le degré de prospérité qui lui est réservée avant que tous ses membres ne possèdent les connaissances théoriques et pratiques nécessaires à l'exercice de leur profession respective.

Pour ces motifs, lorsqu'ils ne s'entendent pas sur le mode exact de répartition des bénéfices, les coopérateurs ne devraient pas hésiter à attribuer ce qui fait l'objet du différend à un fonds spécialement affecté à l'organisation de conférences et d'un enseignement professionnel. En France, on va plus loin; peut-être même trop loin. Ainsi la Banque populaire de Cette (Département de l'Hérault) a acheté un vaste terrain pour y bàtir une école tenue par les sœurs de Saint-Vincent de Paul.

24. Le Code de commerce d'Italie défend aux fondateurs d'une société publique de se réserver un avantage ou bénéfice quelconque sous forme d'actions ou d'obligations; ils peuvent uniquement stipuler, pendant un ou plusieurs exercices, une participation aux bénéfices dùment établis; encore faut-il que cette stipulation, pour produire effet, ait été approuvée en assemblée générale. Sous l'empire de notre loi, presque tout ce qui est défendu pour les sociétés anonymes est permis lors de la fondation d'une société coopérative. Et comme les sociétés coopératives sont essentiellement des sociétés de personnes, même les dispositions pénales des art. 132 et 133 ne sauraient en cette matière trouver des cas d'application.

25. La question du partage des bénéfices est une question tellement complexe que celui qui prétendrait y donner une solution absolue n'aurait établi qu'une règle fantaisiste. Le législateur belge s'est efforcé de trancher ce noeud gordien; il est vrai qu'il l'a fait en deux coups: lorsque l'acte constitutif ne règle pas le mode de partage, celui-ci a lieu pour moitié par parts égales entre les sociétaires, et pour l'autre moitié à raison de leurs mises respectives.

26. Ces deux bases de répartition équivalent à deux solutions contraires; car le législateur lui-même ne pose la question qu'il résout en l'absence des dispositions statutaires, que comme une solution de volonté présumée; et la volonté, le plus souvent, est une. Ce n'est qu'en tant que la société comporte de la part des membres des apports en travail et des apports en capital ou en nature, qu'il est logique de présumer qu'ils ont voulu la division des bénéfices acquis en deux masses. Dans les sociétés de con

sommation, par exemple, on ne s'explique pas rationnellement le partage par tête.

27. Dans les sociétés coopératives de crédit aussi, le partage des bénéfices au prorata du chiffre des opérations faites parait préférable au système légal: en effet, lorsque les bénéfices sont répartis par parts viriles, la combinaison est onéreuse pour les membres actifs; et ce n'est certainement pas l'intérêt des membres inactifs qu'il importe de prendre en considération.

28. Pour les sociétés de production, le système légal n'est pas non plus à l'abri de la critique et ne répond pas aux aspirations des classes ouvrières. Un de leurs organes disait dernièrement : «En général, la part qui est faite au capital dans les associations coopératives est encore très grande, trop grande peut-être; car, outre un intérêt, sorte de minimum fixe, on assure bien souvent au capital une part de dividende égale ou supérieure à celle qui est accordée au travail. Cela tient aux nécessités qui résultent du milieu dans lequel les sociétés coopératives se développent, et ne peut être que transitoire. Il faut attendre du temps et du progrès des idées économiques, la fixation équitable de la part qui revient au travail et de celle qui est due au capital dans l'accroissement des richesses. Mais c'est à une condition, celle de ne point se lasser d'attaquer les abus avec toutes les armes de la raison, et de détruire les erreurs qui pourraient faire dévier, de la voie du progrès continu, ce grand travail de rénovation sociale auquel on a donné le nom de Mouvement coopératif ».

29. Certains auteurs confondent les engagements entre sociétaires avec la responsabilité assumée vis-à-vis des tiers. La comparaison des nos 5 et 6 des art. 88 et 89 de la loi démontre que le législateur a entendu distinguer entre la responsabilité assumée vis-à-vis des tiers, laquelle au cas de silence de l'acte est solidaire, et le partage des bénéfices et des pertes, lequel à défaut d'autres stipulations se fait d'après une double base. Cependant, il nous faut convenir que le législateur lui-même a erré en parlant d'un partage annuel des pertes.

La fiction d'incorporation consiste à concevoir la société comme un être absolument indépendant des individus qui la composent. A ce point de vue, on conçoit des sociétés incorporées de per

sonnes à responsabilité limitée ou non limitée, comme on conçoit des sociétés incorporées de capitaux où la responsabilité est limitée à la mise effectuée ou promise. Mais, dans toute hypothèse d'incorporation, on ne conçoit la responsabilité que comme un cautionnement au cas de liquidation défavorable.

30. Dans un Rapport supplémentaire non daté, M. PIRMEZ a écrit que dans les sociétés anonymes formées à la façon anglaise, façon qu'il proposait comme modèle, il est impossible de concevoir antérieurement à la faillite une action directe du créancier à l'actionnaire;... et que la société coopérative est, sous le rapport du degré de personnification, sur le même pied que la société anonyme; qu'il faut donc y appliquer les mêmes principes (V. GUILLERY, Comm. lég. II, no 182). Cela étant, n'est-ce pas défaire d'une main ce qu'on a élevé de l'autre que de partager chaque année entre sociétaires les pertes d'une société incorporée ? Décréter comme intention présumée des membres d'une telle société le partage annuel des pertes, et ce moitié par parts viriles, moitié à raison des mises, est à notre sens un comble : autant et mieux vaudrait décréter que les sociétés coopératives liquideront chaque année!

En rédigeant les statuts de la société, les futurs coopérateurs ont à se demander si et quand il conviendra de partager les pertes sous l'empire d'une législation qui exige que toute société coopérative ait un capital, que le minimum en soit fixé, et que l'acte constitutif indique comment le capital est ou sera ultérieurement formé? La réponse ne saurait être douteuse. Il y a lieu de stipuler qu'il ne sera procédé à un partage de pertes que lorsque, par l'effet de la solidarité, certains sociétaires se trouveront avoir dû payer pour les autres.

31. La question de savoir comment il faut procéder à la liquidation lorsque les apports ont été inégaux, n'est une question d'interprétation que pour ceux qui perdent de vue le caractère public de la société coopérative. On invoquerait sans succès dans notre pays un arrêt de la Cour de Paris dont la Cour de cassation a cru devoir maintenir la décision par un rejet de pourvoi en date du 11 janvier 1865, et qui porte qu'après les dettes payées, il faut sur ce qui reste, prélever les apports sociaux comme dettes entre associés. Les mises dans une société incorporée ne créent pas des

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