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XXVII et G. I, § 20). Ce consilium se composait de toute la curie tandis qu'à Rome il n'était composé que de cinq sénateurs et de cinq chevaliers. Mais il n'y a rien là que de très naturel étant donné qu'il n'y avait point de chevaliers dans les municipes et que, d'autre part il y avait pour la cité un intérêt majeur à ne pas laisser un caprice de jeune homme introduire dans son sein des citoyens indignes. C'est donc contre toute vraisemblance que ces auteurs veulent conclure de la composition du consilium manumissionis à la composition de l'album judicum.

Ils s'appuient ensuite pour prouver que la curie fait acte de juridiction: 1o sur ce que le duumvir qui n'a pas de collègue, est obligé de consulter la curie sur la tutoris datio (lex Salpensana, Cap. XXVIII); mais, c'est là une erreur évidente de leur part, car, ainsi que nous l'avons vu la tutoris datio ne dépend ni de l'imperium, ni de la jurisdictio et ne saurait être déléguée; 2° sur ce que la loi municipale de Malaga (C. LXVI) attribue aux décurions un rôle analogue à celui des judices dans les quæstiones perpetuæ; mais c'est là une conclusion forcée. Tout ce que nous dit la loi précitée c'est que la curie connaissait des appels formés contre la condamnation à l'amende prononcée par les magistrats. Et, en cela, la curie n'avait fait qu'hériter d'un droit qui, à la fin de la République (Cic., de Legibus, III, 3, 6), et même au commencement de l'Empire (Inscr. Lat., T. I, 1409), appartenait au peuple. Tout au plus pourrions-nous voir dans ce fait une trace de la transformation qui s'opéra dans l'organisation politique des cités et qui eut pour résultat de faire passer à la curie les droits qui, précédemment, appartenaient au peuple : comme, par exemple, en ce qui concerne la nomination des magistrats.

Enfin, ils contestent la portée que nous avons donnée à l'inscription précitée du musée de Narbonne.

Suivant MM. Henzen et Herzog il s'agirait d'une élection de magistrats faite par la curie. Seulement, d'accord sur cette base commune, ils se séparent quant au sens à donner à l'inscription de Narbonne.

Pour M. Henzen, les mots judicia plebis decurionibus conjunxit, signifieraient que le peuple ou l'empereur aurait donné leur approbation aux élections faites par les autorités municipales.

Pour M. Herzog, il faut supposer un conflit entre la plebe et la curie à l'occasion de l'élection de magistrats municipaux la curie, par exemple, faisant écarter, par le magistrat chargé de procéder aux

élections, le candidat agréable aux plébéiens. Dans ces conditions, l'empereur intervient pour rétablir la paix, pacem municipiï restituere. Pour le faire, il enjoint à la curie de déférer au choix du peuple. Cet auteur traduit ainsi judicium par choix.

Pour le malheur de ces deux opinions, elles ne s'appuient sur aucun texte certain.

M. Henzen, d'abord, cite toute une série de textes où il estime que le mot judicium est pris dans le sens d'approbation (Cuq, op. cit., p. 9). Mais, outre que ces textes sont tous du IV ou du V° siècle, et pourraient par ce seul motif être écartés du débat, il est facile de voir que le mot judicium est employé par eux dans le sens de décision, sens que lui donnent également nombre d'autres textes (V. Cuq, op. cit., p. 10).

D'autre part, en lui donnant le sens qu'il lui prête, le savant auteur enlève toute signification à ce texte. Dans quels cas, en effet, l'empereur ou la plebe pourront-ils donner leur approbation à l'élection faite par les décurions? Dans le cas où, en vertu de la lex Petronia, la curie aurait nommé un præfectus jure dicundo, en remplacement d'un magistrat? Mais alors la curie seule concourt à l'élection du magistrat, et il n'est besoin d'approbation d'aucune sorte. Et encore, pouvons-nous ajouter, il faudrait supposer pour cela que la loi Petronia existait dès le commencement de l'empire, alors cependant que nous ne la voyons mentionnée pour la première fois que dans une inscription de Pompeies (Houdoy, p. 185).

L'opinion de M. Herzog ne se soutient pas davantage. Pour qu'un conflit fut possible entre décemvirs et plébéiens à l'occasion de l'élection des magistrats municipaux, il faudrait que la curie pût limiter le choix de la plèbe arbitrairement, et c'est bien en effet ce que suppose M. Herzog, à tort, suivant nous, car la lex Judicia municipalis (Cap. XCL, CL, CV) dit formellement que le président des comices doit simplement constater que les candidats remplissent les conditions qu'elle énumère. Ainsi tombe l'argument que M. Herzog croyait pouvoir tirer de la C. 171, XII, I du Code Théodosien.

M. Cuq passe ensuite en revue trois autres textes sans portée invoqués par M. Herzog (V. p.p. 12 et 13); il fait mention de deux opinions purement conjecturales de MM. Orelli et Henzen; enfin, pour répondre à un reproche que pourrait encourir l'opinion qu'il soutient, l'auteur précise qu'il donne au mot judicia le sens d'instance et non

celui de munus judicandi ou d'album judicum, qu'il ne saurait avoir en effet.

Du résumé, bien écourté d'ailleurs, que nous venons de présenter de la monographie de M. Cuq, il suit que, daus les colonies romaines, les juges étaient divisés en décuries, dont la composition était gouvernée par les mêmes principes que ceux qui s'appliquaient aux décuries romaines. L'album judicum ne s'y confondait pas par conséquent avec l'album decurionum. Or, ce qui était vrai des colonies devait l'être également des municipes et des préfectures, c'est-à-dire de toutes les cités italiennes et cela après la concession du droit de cité à toute l'Italie. N'aurions-nous pas l'inscription du musée de Narbonne, que celle d'Este suffirait à nous faire admettre cette solution.

Transition à l'Empire.

Après avoir étudié, ainsi que nous l'avons fait, l'organisation judiciaire de l'époque républicaine en matière civile, tout à la fois à Rome et en Italie, il nous est facile d'en présenter comme une vue d'ensemble. Cet aperçu général nous permettra des comparaisons qui doivent être faites par quiconque veut bien se pénétrer de l'esprit de l'organisation judiciaire romaine et italienne sous la République.

A Rome, d'abord, nous nous sommes occupé en premier lieu des magistrats. Nous avons montré la création de la préture urbaine, comme correspondant à un progrès interne de la constitution politique de Rome et la création de la préture pérégrine, comme correspondant à un autre progrès réalisé par cette même constitution au point de vue international. Par la préture urbaine, les citoyens virent leurs droits mieux garantis, l'administration de la justice étant désormais spécialisée entre les mains d'un seul magistrat. Par la préture pérégrine, les ressortissants d'états qui avaient conclu des traités avec Rome, furent assurés de trouver, dans cette cité, un magistrat, ayant pour mission de leur appliquer la justice sur la base de ces mêmes traités. Toutefois, nous avons vu qu'il ne fallait pas conclure de cette origine différente à une compétence différente de ces magistrats.

Passant ensuite aux juges, nous avons vu que leur création avait réalisé la séparation du jus et du judicium, sans qu'il nous fût possible, d'ailleurs, d'assigner une origine différente à chaque espèce de juges, si ce n'est pourtant pour les recuperatores. Nous avons montré, d'autre part, que, de même qu'il n'existait qu'une seule catégorie de juges, tant pour les causes civiles que pour les causes criminelles, de même il ne devait exister pour eux, que des modes de nomination identiques, et de même encore ces juges ne devaient être nommés que pour une affaire déterminée. Nous avons constaté aussi, mais sans pouvoir en donner d'explication satisfaisante, des différences entre les juges au point de vue de la compétence, tout en réservant à l'unus judex la qualité de juge de droit commun. Ainsi pour réaliser la séparation du jus et du judicium, d'un côté, des magistrats accessibles à toutes parties romaines ou pérégrines, de l'autre, des juges recrutés et nommés probablement aussi d'une manière identique.

A l'heure qu'il est, nous pouvons nous rendre un compte exact de cette séparation du jus et du judicium, qui anime toute l'organisation judiciaire romaine. Si l'on ne consulte que les apparences, cette sépation du jus et du judicium signifie seulement que toute instance doit se scinder en deux parties qui se déroulent, l'une devant le magistrat, l'autre devant le juge. Devant le magistrat, suivant les procédures, ou bien les formalités légales sont accomplies, ou bien les éléments essentiels du procès sont dégagés pour circonscrire et faciliter la mission du juge. Devant le juge, le procès est plaidé et une décision judiciaire intervient. Puis le magistrat reparaît encore pour en assurer l'exécution.

Mais au fond, cette séparation, du jus et du judicium a une portée bien autrement grande. Elle a pour but de séparer et plus exactement d'isoler le pouvoir judiciaire, réduit à ses fonctions essentielles, de tous les autres pouvoirs concentrés entre les mains des magistrats supérieurs. Ainsi le juge n'aura que le pouvoir judiciaire stricto sensu, c'est-à-dire la décision du litige; les magistrats supérieurs, au contraire, et plus spécialement les préteurs urbain et pérégrin auront tous les pouvoirs législatifs, administratifs en même temps qu'exécutifs.

Ce point de départ, une fois admis, on ne peut qu'être frappé d'admiration par la logique inflexible avec laquelle les Romains surent en dégager toutes les conséquences qui y étaient implicitement contenues au point de vue des pouvoirs départis tout à la fois aux magistrats et aux juges.

Le magistrat, d'abord, a pour fonction essentielle de veiller à l'observation des lois et en même temps de maintenir la législation au niveau des modifications incessantes que peuvent amener les progrès de la société ; c'est dans ce but que lui sont conférées les fonctions judiciaires dont nous parlions tout à l'heure, qui lui permettent d'être en contact perpétuel avec les besoins de la société. Connaissant ces besoins, il leur donne d'abord une satisfaction immédiate, il dégage ensuite en eux ce qu'il y a de nécessaire et d'universel pour en composer des règles uniformes pour l'avenir. Mais pour accomplir utilement sa mission, il faut que la force publique soit mise à sa disposition, pour qu'elle apparaisse comme la sanction énergique de ses autres pouvoirs. Tous ces pouvoirs réunis composent son imperium, mot qu'aucune expression équivalente ne peut rendre dans notre langue. Le juge, au contraire, n'a qu'une mission contingente, celle de satisfaire à une difficulté momentanée survenue dans les rapports de deux ou plusieurs citoyens, et qui prendra fin avec sa décision.

Le magistrat est investi de la souveraineté nationale, il agit au nom et pour le compte de la société toute entière; sa mission dans ce sens ne saurait prendre fin.

Le juge agit dans l'intérêt des parties en cause et sa mission cesse avec le besoin qui l'a motivée.

De là suit que le magistrat est élu par le peuple qui lui communique ainsi sa souveraineté. De là suit que comme marque de cette souveraineté, le magistrat est inamovible, ce qui signifie qu'il n'est responsable de ses actes que devant le peuple lui-même. De là suit enfin que, dans sa fonction éminente, son pouvoir législatif, il se survit à lui-même; son édit lui survivra en effet ; il sera recueilli par le magistrat qui lui succèdera, lequel le transmettra à son successeur et ainsi de suite, de telle sorte que, bien que changeant de main, le pouvoir législatif se perpétuera toujours semblable à lui-même, apportant dans son œuvre indéfiniment perfectible, les modifications que lui imposeront les progrès incessants de la société.

Le juge, inversement, sera choisi par les parties et ses pouvoirs prendront fin avec sa mission, c'est-à-dire avec la solution du litige. Ainsi se trouve réalisée l'indépendance du juge, et, en vérité, on en est à se demander s'il eût été possible de la réaliser d'une façon plus parfaite, car il semble bien que le meilleur moyen, pour les parties, d'avoir un juge qui soit indépendant de l'action du magistrat, c'est de le choisir elles-mêmes.

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